Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mercredi 8 décembre 2010

"On s'est juste embrassés"

C'est parce qu'elle connaît bien les adolescents et surtout leurs difficultés qu'Isabelle Pandazopoulos a pu écrire "On s'est juste embrassés"publié chez Gallimard, dans la collection Scripto, en 2009, avec une réelle justesse de ton. Pour son héroïne, Aïcha, les difficultés sont de trois ordres et tout d'abord psychologiques. Abandonnée par un père qui fuit, lorsqu'elle a huit ans, une vie qu'il juge décevante, Aïcha vit avec sa mère Saïda, seule, renfermée sur elle-même et dont elle ne sait presque rien tant le silence s'est installé entre elles. La jeune fille rencontre aussi des difficultés d'origine socio-culturelle : elle sait qu'elle est d'origine algérienne, que ses grand-parents sont venus à Paris 80 ans plus tôt faire leur vie et fonder une famille. Mais elle ne sait rien d'eux, d'où la soif de connaître ses origines, son identité. N'obtenant pas de réponse à ses questions, elle s'invente un passé, une famille, bref un roman personnel digne des théories d'une Marthe Robert. Sur cette quête d'elle-même pèse un lourd secret de famille qui aggrave ses relations avec sa mère mais provoquera le retour au père. À ces épreuves s'ajoutent celles que connaissent les beurettes des cités, ces jeunes filles sur le comportement desquelles repose tout l'honneur de la  famille, surveillées par un père ou un frère qui n'hésitent pas à frapper ou bannir s'ils considèrent cet honneur entaché et ce dans le silence résigné des mères, tantes ou soeurs qui subissent un sort similaire si elles soutiennent les jeune filles en question. Le texte d'Isabelle Pandazopoulos est simple, précis, usant d'un langage courant qui exprime les choses directement, sans emphase. Les phrases courtes ou composées de plusieurs propositions indépendantes accumulées et séparées par des virgules donnent au roman un aspect de reportage documentaire : le lecteur découpe la scène et la vit en même temps. Les relations entre hommes et femmes dans la société maghrébine musulmane, la vie dans les cités et la violence faite aux filles, la question de l'honneur réglée par les coups ou l'abandon, la difficulté de vivre avec des origines étrangères dans un pays différent où la femme a une place autre, la quête de l'identité et la recherche du père sont au coeur de ce roman qui se lit d'une traite. Isabelle Pandazopoulos confirme, par sa connaissance de la jeune fille actuelle et de ses difficultés particulières, le rôle de témoin de l'auteur qui s'adresse sciemment au lectorat adolescent. L'écrivain démontre aussi que les problèmes des jeunes d'aujourd'hui ne concernent pas seulement les rapports entre filles et garçons, même si la construction de l'identité sexuelle et les relations avec l'autre sexe nourrissent également le récit avec la question cruciale de la famille et celle de la place du jeune dans la société. Le roman d'Isabelle Pandazopoulos promène un miroir le long des bâtiments de la cité, de nos cités, miroir qui renvoie aux jeunes lecteurs de multiples reflets d'eux-mêmes et des jeunes qui les entourent au quotidien, ces jeunes qui appartiennent à deux cultures mais à aucune vraiment.

On s'est juste embrassés, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard jeunesse, Scripto, 2009.
Source photographique : Cité des Côtes d'Authy déposée par Al sur Wikimedia commons.

samedi 4 décembre 2010

"Récit d'une mort annoncée"

Dans la ligne d'un Robert Cormier et de sa "Guerre des chocolats", Anthony Mc Gowan reprend le thème de la violence scolaire dans son roman paru en 2008 chez Random House à Londres et en 2009 chez Milan, dans la collection Macadam, à Toulouse. Le titre original 'The knife that killed me" insiste plus sur le thème de la violence allant jusqu'au meurtre et sur l'arme du crime, alors que sa traduction française "Récit d'une mort annoncée" donne la forme du récit, long flashback raconté par le narrateur, Paul, lycéen dont on attend la mort violente qu'il annonce lui-même. Ce récit analeptique est entrecoupé de pauses où Paul raconte la bataille rangée entre deux bandes rivales de deux lycées voisins dont les écoliers sont adversaires depuis plusieurs décennies : le père de Paul a lui-même participé à l'une de ces rencontres féroces et exhorte son fils à ne pas l'imiter. Dans un monde scolaire où tous les coups sont permis et où les pacifistes sont méprisés, où les enseignants et les parents sont écartés par une loi du silence absolument respectée, les élèves, filles et garçons, vivent dans une tension permanente, due à la férocité de certains d'entre eux adeptes de la persécution et du sadisme. Paul décrit les actes et les sentiments des différents protagonistes, mais surtout sa lente descente aux enfers provoquée par de mauvais choix et une image de lui-même erronée.La fin du roman, à laquelle on ne s'attend pas, pointe la véritable cruauté, la férocité de la violence et joue sur les différents types de mort, réelle ou figurée. Le texte s'appuie aussi sur deux sortes de héros adolescents, ange ou démon, aux prises avec eux-mêmes et face à face. Le pessimisme est ici de mise dans la peinture d'une jeunesse désenchantée. Vision quasi manichéenne : l'ange a péri, le démon a survécu, le mal règne sans partage. 

Photographie " Ange ou démon" de Mansour de Toth, déposée sur Wikimedia commons

"La jeune fille rebelle"

C'est à Anvers et en néerlandais que paraît en 2009 le roman de Jean-Claude Van Rickeghen et Pat Van Beirs, "Jonkvrouw". Pour les éditions Mijade en Belgique, Jean-Philippe Bottin et Anne Roggle en proposent la traduction française sous le titre "La jeune fille rebelle". Ce titre français ajoute une notion supplémentaire au néerlandais qui se contente du terme "Demoiselle" (jonkvrouw) et propose au lecteur de découvrir l'histoire d'une jeune fille dont le caractère et le comportement sont d'emblée donnés et lui font attendre un certain type de récit. Ce roman historique se situe dans la Flandre du XIVe siècle, dans la région de Bruges et de Gand, pendant la Guerre de Cent ans qui oppose sporadiquement Anglais, Français et leurs alliés respectifs. Dans un premier chapitre remarquable, la narratrice raconte sa propre naissance. Le titre du chapitre est clair : le père du nouveau-né attend  un garçon, on sait donc que l'enfant sera une fille et que l'intrigue entière découle de cette malédiction pour un Comte du XIVe siècle qui attend un héritier d'autant plus que les 3 naissances suivantes donnent des garçons morts-nés et que la Comtesse en perd la tête. La "jeune fille rebelle" va donc passer les quelques années que suit le déroulement du récit à, à la fois, résister à un père qui la rejette et veut la marier à qui bon lui semble, et à le conquérir en tant que fille, que véritable et digne  héritière du Comté de Flandre. Le texte de 282 pages a toutes les qualités d'un roman d'aventures historiques : chevauchées, batailles, vie d'un château médiéval, activités des villes de Bruges et de Gand hautes en couleurs. Le récit à la première personne présente une sorte de chronique rédigée par Marguerite de Male, future Comtesse de Flandres dont le nom de famille présage de sa capacité, comme un homme, à assumer la destinée  d'un territoire. Outre la condition des filles de la Noblesse, leur éducation, leur vie affective, le roman donne un tableau précis de la vie flamande au XIVe siècle, des relations du Comte avec les deux grandes puissances en guerre et avec le pape qui surveille les alliances entre les  Grands de ce monde. Et le terme de tableau vaut aussi pour toutes les qualités de ce texte qui joue à l'envi avec les cinq sens : le lecteur profite des images visuelles, sonores, olfactives, tactiles, auditives et gustatives riches et nombreuses qui lui font goûter ce XIVe siècle comme dans un tableau flamand. Bruits et clameurs du château et des villes drapières, chants religieux et poésie profane, paysages d'hiver ou d'été, décor de château, des villes de Bruges et Gand, des forêts et des champs cultivés, des chapelles isolées, parfums du gibier cuisiné, des douceurs aux épices lointaines, du vin et du miel, lumière du nord, chatoiement et douceur du velours et des brocarts, tout enchante la lecture et redonne vie à la Flandre dont la peinture précise doit beaucoup ici aux activités de scénariste, journaliste-reporter et producteur de films des deux auteurs. Pour toutes ces raisons l'on peut engager le jeune lecteur, mais pas seulement, à découvrir ce roman historique où l'Histoire de la Flandre du XIVe siècle sert d'écrin à l'histoire de Marguerite, jeune fille rebelle, franche et conquérante, qui saura captiver aussi par son courage et son obstination à vivre la vie qu'elle souhaite quels que soient les obstacles, à commencer par l'absence de sa mère et le rejet de son père.
Source iconographique : "Portrait de jeune femme", Sandro Botticelli, 1480
http://www.grandspeintres.com

dimanche 31 octobre 2010

"Papa et Maman sont dans un bateau"

Marie-Aude Murail n'a pas son pareil pour prendre la main du lecteur et lui dire  : "Viens, regardons le monde ensemble ". C'est à cela qu'elle l'invite encore dans son roman Papa et Maman sont dans un bateau paru à L'école des loisirs en 2009 dans la collection Médium  et qui raconte la vie d'une famille ordinaire, les Doinel, aux prises avec l'existence telle qu'elle est en France en ce début de XXIe siècle. Esteban, le fils, est un enfant marginal, doué  et angoissé. Victime de maltraitance à l'école, il a cerné sans le savoir la déshumanisation des rapports entre les membres de la famille, à l'école, dans le monde du travail et sur toute la planète où il ne voit que robots humanoïdes hostiles. Charlie, collégienne, essaie de naviguer entre les amitiés changeantes et superficielles, les amours non moins relatives, la distance qui s'installe entre elle et ses parents, et un rapprochement avec un garçon hors normes. Elle vit dans l'univers de ses mangas, univers décrypté et démystifié avec bonheur et humour par Marie-Aude Murail, MAM pour les fans. Nadine Doinel, enseignante en maternelle, croit en son métier : ses compétences lui valent la grande admiration de son assistante qui comprend d'autant moins les changements soudains chez cette institutrice que gagne un découragement certain. Enfin, Marc Doinel, un modèle de réussite, est parti d'une délinquance juvénile pour devenir chef d'agence d'un transporteur routier. La "boîte" est vendue à une société plus grosse, ce qui entraîne licenciements, restructuration, souffrance et même suicide. Pris entre deux feux, Doinel fait le choix de rester humain et de refuser ce système : en provoquant physiquement le nouveau patron venu "passer le kärcher" dans l'agence, il incarne avec violence la souffrance des êtres broyés par cette non-philosophie du travail et dénonce au nom de l'auteur la déshumanisation de notre société de profit aveugle. Pour sortir ses quatre personnages du piège où ils sont englués, entre violence et pression psychologiques (Nadine Doinel rêve que son inspecteur lui demande de "licencier" un de ses élèves de quatre ans faute de résultats !), MAM recourt au rêve enfantin de la cabane-refuge, au fantasme de vie robinsonne, loin, ailleurs, au coeur de la nature. Ainsi, et sans le savoir, tous les quatre imaginent vivre dans la yourte mongole présentée dans un reportage de la revue "Psychologies" qui traîne au salon. La yourte devient le symbole du cocon familial, d'une vie à la fois aventureuse et sécurisée, humaine, sous la protection de Mère Nature. Soucieuse et curieuse de la jeunesse, MAM observe la société dans laquelle elle vit aujourd'hui. Elle dénonce la déshumanisation des sociétés occidentales actuelles, obsédées par le profit et la consommation au détriment des personnes. Elle offre aussi à la réflexion du lecteur une alternative qui repose sur le respect et l'accueil de l'autre en emmenant ses personnages dans un autre monde, la Mongolie, dont le modèle est transporté (au sens figuré et au sens propre par le biais de camions) en France car Doinel se consacre à l'importation de yourtes depuis qu'il a démissionné. Si le titre indique que les êtres sont "dans un bateau", c'est-à-dire sur un chemin tout tracé et dont on ne peut s'écarter, MAM suggère le contraire dans le texte : le bateau de la vie peut être conduit sous d'autres vents, vers d'autres rivages que ceux que l'on a toujours connus et que les circonstances ont semblé imposer. C'est pourquoi la lecture de ce roman ne s'adresse pas, selon nous, aux seuls adolescents : leurs parents ont tout intérêt à y jeter un oeil.

Source : photographie de Bouette déposée sur Wikimedia commons

vendredi 29 octobre 2010

Harry et Compagnie

Si vous avez bien suivi mes diverses réflexions sur l'orphelin dans le roman pour la jeunesse, vous avez constaté que nous n'avons jusqu'ici rencontré que des orphelines, les unes dans des textes réalistes, une autre dans un roman fantastique coloré d'enquête sur le passé et de secrets de famille, une autre encore dans un roman historique et policier à la fois situé à la Cour d'Élisabeth première pour suivre Maia finalement dans sa nouvelle vie au Brésil. Or, il est un garçon à lunettes, toujours mal coiffé, qui défraie la chronique littéraire depuis la fin des années quatre-vingt dix et pas seulement parce qu'il fait du sport sur un balai, utilise une baguette magique et partage sa vie avec une chouette blanche. Harry Potter, britannique, est sans doute l'orphelin littéraire le plus connu de la planète, rejoignant ses compatriotes David Copperfield et Olivier Twist nés eux aussi dans le pays de sa Très Gracieuse Majesté, mais plus d'un siècle et demi avant lui. Le succès est rapide pour le premier tome paru en France en 1998. Benoît Virole explique l'engouement des enfants pour le jeune sorcier dans un article paru dans la revue spécialisée Lecture jeune : « Ce succès initial est un fait d'observation. (…) Il est bien issu d'une rencontre entre une oeuvre originale, authentique dans l'impulsion de sa créativité, et un lectorat pour la plupart novice en matière de littérature ». Le roman de Joanne Kathleen Rowling semble ainsi perpétuer une tradition qui raconte la condition enfantine même si les aventures de Harry se déroulent en grande partie dans un monde merveilleux. Le premier tome de ses aventures qui en remplissent sept présente le jeune garçon et le début de son histoire : il a juste un an au moment où nous le rencontrons pour la première fois. L'incipit pourtant ne s'intéresse pas à lui de façon directe mais fait un portrait de son oncle Vernon, de sa tante Pétunia et de son cousin Dudley. Cet incipit révèle d'ailleurs toute la distance qu'il existera entre Harry et ce qu'il faudra bien appeler sa famille :
Mr et Mrs Dursley, qui habitaient au 4, Privet Drive, avaient toujours affirmé avec la plus grande fierté qu'ils étaient parfaitement normaux , merci pour eux. Jamais quiconque n'aurait imaginé qu'ils puissent se trouver impliqués dans quoi que ce soit d'étrange ou de mystérieux. Ils n'avaient pas de temps à perdre avec des sornettes.
Si ce début de récit installe à la fois une future atmosphère mystérieuse et étrange justement, celle du monde des sorciers annoncé par le titre, il évoque aussi toute la force que mettent les Dursley à se considérer comme des gens normaux. Mrs Dursley va même jusqu'à nier l'existence de sa soeur Lily Potter, la mère de Harry. C'est pourtant dans leur petite vie mesquine que le sort et surtout un terrible mage noir vont catapulter Harry à la fois pour sa sauvegarde et son malheur. Albus Dumbledore, grand magicien s'il en est et directeur de l'école de sorcellerie de Poudlard, avec l'aide du professeur Mc Gonagall et de Rubéus Hagrid, garde-chasse, recueillent Harry après le meurtre de ses parents par Lord Voldemort auquel ils ne voulaient pas se rallier. Parce qu'il est protégé par l'amour de sa mère, Harry non seulement survit à l'attaque mais semble avoir anéanti les pouvoirs du sorcier maléfique ; c'est en tous les cas ce qu'explique le professeur Mc Gonagall :
« … On dit qu'il a essayé de tuer Harry, le fils des Potter. Mais il en a été incapable. Il n'a pas réussi à à supprimer ce bambin. Personne ne sait pourquoi ni comment, mais tout le monde raconte que lorsqu'il a essayé de tuer Harry Potter sans y parvenir, le pouvoir de Lord Voldemort s'est brisé, pour ainsi dire-et c'est pour ça qu'il a ... disparu. »
Harry est donc orphelin « grâce à » ou «  à cause de » sa mère, si l'on peut dire : si l'amour maternel ne l'avait pas sauvé, Voldemort l'aurait éliminé lui aussi. Il n'aurait pas connu dix années de maltraitance dans le foyer de son oncle Vernon, ni les brimades perpétuelles de Dudley, ni le mépris de Pétunia, ce à quoi Albus Dumbledore ne s'attendait sans doute pas en le leur confiant. Orphelin parce qu'il survit à l'assassinat qui emporte ses parents, il connaît une nouvelle naissance ou une renaissance en se défendant bien malgré lui contre le mage noir. Cette deuxième naissance est un miracle pour tout le monde sorcier qui fête l'événement pendant que Rubéus Hagrid, semi-géant et première figure paternelle de substitution (dans l'ordre d'apparition) auprès de Harry, l'emmène au 4, Privet drive. Le titre de ce premier chapitre le désigne fort justement comme le « survivant » et indique aussi son caractère exceptionnel. Parce que le monde des sorciers ne peut être sûr que Voldemort a totalement été anéanti, Albus Dumbledore se doit de protéger l'enfant en le confiant à sa famille « moldue », c'est-à-dire humainement ordinaire , sans aucun pouvoir magique :
-« Je suis venu confier Harry à sa tante et à son oncle. C'est la seule famille qui lui reste désormais. » 
 Ce contre quoi Minerva Mc Gonagall s'insurge aussitôt, mettant en relief le caractère unique de l'orphelin :
« … Dumbledore, vous ne pouvez pas faire une chose pareille ! Je les ai observés toute la journée. On ne peut imaginer des gens plus différents de nous. … Harry Potter vivre ici ! »
La véritable famille de Harry, celle qui lui apportera affection, réconfort, force et courage, sera celle des sorciers qui avait déjà accueilli sa mère, fille de moldus mais excellente sorcière. Dix années auront passé, dans un simulacre de foyer où l'oncle Vernon, la tante Pétunia n'ont de cesse de nier sinon l'existence de Harry du moins sa véritable identité à la recherche de laquelle il passera sept années entières. À onze ans, Harry sera en âge d'entrer à Poudlard, la fameuse école de sorciers. C'est encore Hagrid qui le mènera à ce nouveau foyer : Vernon ayant fui par tous les moyens les lettres de Poudlard qui arrivent par centaines pour convoquer Harry à sa première rentrée à Poudlard, Hagrid est obligé de venir chercher l'enfant sur l'île où Dursley a cru pouvoir trouver un refuge définitif. À sa très grande et très courroucée stupéfaction, le bon géant découvre « l'entreprise de démolition » ou plutôt de non construction de l'identité de Harry par sa « famille » :
« Vous n'allez pas me dire, rugit Hagrid, que ce garçon- ce garçon !- ne sait rien sur RIEN ? »
 Et un peu plus loin :
« Je voulais dire que tu ne sais rien de notre monde, de ton monde. De mon monde. Du monde de tes parents. »
Véritablement révolté à l'idée que Harry ne connaisse rien de ses origines et ait vécu dix ans en croyant à un accident de voiture mortel pour James et Lily Potter, Hagrid dévoile au lecteur la véritable maltraitance subie par l'orphelin, bien plus douloureuse que le fait de dormir dans un placard sous l'escalier, de ne pas toujours manger à sa faim ou de porter les vieilles nippes de son cousin : ne pas avoir la mémoire de ses origines, de l'histoire de sa famille, donc de ne pas avoir les moyens de construire son identité.
« Tu ne sais même pas qui tu es ? » dit-il enfin.
Cette interrogation d'un Hagrid à la fois abasourdi et triste résume la situation psychologique de tous les orphelins et fait de Harry leur archétype : l'orphelin doit non seulement continuer à vivre après avoir perdu ses deux parents, commencer ou continuer à construire son identité malgré le chagrin, le manque de repères et l'absence maternelle et paternelle. Le comble est dans le cas de Harry que le monde auquel il appartient réellement connaît son nom et son histoire depuis dix ans. Dans une mise en abyme, devenue célèbre et maintes fois mentionnée , du début du roman, Minerva Mc Gonagall confirme l'aspect paradoxal de cet état de fait :
«  Il va devenir célèbre-une véritable légende vivante-, je ne serais pas étonnée que la date d'aujourd'hui devienne dans l'avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants de notre monde connaîtront son nom ! »
En écho, et scandalisé, Hagrid relève aussi le caractère incroyable de la situation :
« Harry Potter ne connaît même pas sa propre histoire, alors que dans notre monde, tous les enfants connaissent son nom ! »
La répétition du terme « enfants » accentue le caractère sensible de la situation de Harry, de l'enfant au sens général, de créature faible, à protéger. Harry construira donc son identité, en découvrant au fil des sept volumes que Joanne Kathleen Rowling lui a consacrés, l'histoire de ses parents mêlée à celle des sorciers qui les entourent depuis leur jeunesse passée à Poudlard. C'est dans cette école, sise dans un château au décor gothique, que Harry trouvera son véritable foyer. Grâce au Choixpeau magique qui sonde leurs désirs et voit leur destinée, chaque élève de première année entre, pour les sept années de sa scolarité, sept années d'initiation et pas seulement à l'art de la magie, dans une « maison », terme symbolique à la double acception qui confirme les paroles de bienvenue du professeur Mc Gonagall :
« Vous devez savoir, en effet, que tout au long de votre séjour à l'école, votre maison sera pour vous comme une seconde famille. »
La salle commune où les étudiants sorciers de chaque « maison » peuvent se retrouver symbolise ce foyer retrouvé, d'autant plus qu'un feu est souvent allumé dans l'âtre de la cheminée, rappelant métaphoriquement aux enfants la chaleur affective de la maison familiale ou leur permettant, comme à Harry, d'en trouver l'équivalent. À l'encontre de ses deux meilleurs amis, qui ne sont pas orphelins, Harry n'a pour seul véritable foyer que le château de Poudlard. Hermione Granger, jeune sorcière brillante, est fille de moldus dentistes et bienveillants envers le monde des sorciers : ils tirent une réelle fierté d'avoir une fille sorcière, ce en quoi ils s'opposent aux Dursley qui nient la véritable nature de Harry, en ont honte comme ils avaient honte, et sans doute peur, de James et Lily Potter. Ron Weasley, de son côté, est issu d'une famille nombreuse de sorciers, simples, généreux malgré leur situation économique faible et qui ne tarderont pas à considérer Harry comme leur fils. Ron et Hermione, même s'ils sont heureux à Poudlard, ont un véritable foyer avec leurs parents, leurs frères et soeurs. Lorsqu'arrive Noël dans ce premier récit, Harry et Ron restent à Poudlard, l'un parce qu'il a enfin l'occasion d'éviter un moment pénible chez les Dursley, l'autre parce que ses parents vont en Roumanie rendre visite à leur fils aîné. Cette fête par essence familiale sera cette année-là un moment de pur bonheur pour Harry : il reçoit des cadeaux sans doute pour la première fois de sa vie, un pull de laine tricoté très « maternellement » par madame Weasley, des friandises offertes par Hermione, un présent de Hagrid. Mais le cadeau le plus symbolique, une cape d'invisibilité, lui est transmis de manière anonyme au nom de son père. Noël revêt donc quand même pour Harry un caractère familial lié à l'héritage paternel, à la famille, aux liens qui commencent à se tisser malgré la mort et l'absence. Grâce à cette cape qui le rend invisible et lui permettra de résoudre l'énigme de la pierre philosophale, noeud de ce premier tome, Harry devient paradoxalement « visible », c'est-à-dire doté d'une identité, d'un passé qu'il commence à connaître et à « apprivoiser », d'une mémoire familiale qui se construit peu à peu. Il se dévoile doté également d'un statut de sorcier en apprentissage, apprentissage qui ira de pair avec son évolution psychologique d'adolescent et de jeune adulte auquel le sort a confié la mission de détruire à jamais les forces du mal incarnées par Lord Voldemort. À la fin du cycle de ses aventures, Harry aura découvert qui il est et assumera son identité, à l'instar de tous les orphelins littéraires, alors que dans ce premier tome, il hésite encore à l'endosser lorsque les jumeaux Fred et Georges Weasley l'interrogent dans le train qui les emmènent à Poudlard :
« Si, c'est sûrement lui, dit le premier jumeau. C'est bien çà ? ajouta-t-il à l'adresse de Harry. 
Quoi ? demanda celui-ci.
 Harry Potter, dirent en choeur les deux frères.
Oui, oui, c'est lui, répondit Harry. Enfin, je veux dire … c'est moi. »
Harry, à l'instar de tous les orphelins privés de leur parents par décès, démontre la difficulté à se construire tout autant qu'à se connaître et à s'accepter. Comme pour les orphelines entrevues jusqu'ici dans ce blog, la quête du foyer reste la quête essentielle aussi pour le jeune sorcier et il semble l'avoir trouvé :
Il se sentait beaucoup mieux au château qu'à Privet drive, c'était là désormais que se trouvait son vrai foyer.
Ce foyer sera un foyer de transition pour le futur jeune homme qui en fondera un autre avec Ginny Weasley : il lui faudra d'abord aller au bout de sa mission, défaire définitivement Lord Voldemort dans un combat qui le libérera de la douleur d'être orphelin et favorisera la résilience du traumatisme initial, réhabilitera la mémoire familiale et vengera l'injustice faite à James et Lily Potter, c'est-à-dire au monde sorcier dans son entier. Dans son mémoire de Malije consacré à Harry Potter en 2003, Marie-Hélène Trobas témoigne des propos d'un groupe de psychiatres américains qui, dès 2001 et selon le journaliste Michel Moutot qui les rapporte, estiment que « l'oeuvre de J.K Rowling permet aux jeunes lecteurs de s'identifier à un personnage positif, qui prend le contrôle de sa vie par ses propres moyens ». C'est aussi le cas des orphelines que nous avons rencontrées avant lui dans ces pages : les unes et les autres, seules ou au coeur d'une fratrie, accompagnées d'un substitut parental ou non, prennent leur sort en main, opposent à la solitude et à l'absence résolution, volonté, esprit d'initiative, force de caractère pour construire leur identité, retrouver un foyer ou en créer un, telles Clara-Camille ou Maïa qui retrouvent un foyer à l'autre bout du monde, les quatre soeurs Verdelaine qui remplissent leur maison d'amitiés et d'amours pour combler le vide laissé par leurs parents décédés.
Après avoir lu et analysé ces quelques romans parus en France pour les adolescents, force est de constater que les auteurs présentent une image particulière de l'orphelin. La souffrance du deuil des deux parents disparus est ouvertement exprimée dans les textes, parfois de façon indirecte par un personnage tiers mais en des termes clairs. Le caractère absurde du décès prématuré des parents et son aspect violent dû à la technologie, dans tous les cas, hormis dans celui de Lady Grace Cavendish et de Harry Potter (quoique le mensonge servi par ses oncle et tante soit aussi d'une mort par banal accident mécanique) donne une forte ampleur à la souffrance de l'orphelin et à l'impuissance de son entourage à l'adoucir. La blessure et la douleur engendrée sont similaires pour chaque personnage orphelin rencontré jusqu'ici, quelle que soit sa situation financière et matérielle. Malgré les biens à elle légués, Clara-Camille, dans son pensionnat de luxe, souffre autant que Harry dans son placard, ou que chacune des soeurs Verdelaine, rapidement sans le sou ; si Malika Ferdjoukh consacre un tome à chacune, c'est sans doute aussi pour mettre en relief sa solitude et son chagrin bien réels malgré la présence et la chaleur affective de la fratrie. L'âge ne fait rien non plus à une quelconque gradation de la souffrance : Mado et Patty respectivement âgées de quinze et vingt ans se retrouvent aussi désemparées que Mélaine qui n'avait qu'un an lors de la disparition de ses parents ou que les soeurs Verdelaine âgées de huit à vingt ans lors du décès des leurs. L'obsession du foyer pour chacun d'entre eux n'a d'égal que l'importance de la maison, du foyer : Harry élira Poudlard comme nouveau foyer, Clara-Camille choisit la Californie et ira même jusqu'à symboliquement participer à la construction de maisons en bois sous la houlette de son hôte Jérémiah, architecte au sens propre et au sens figuré puisqu'il « rebâtit » une famille pour la petite-fille de la française qu'il a aimée jadis en la personne de la grand-mère de Clara-Camille. La Vill'hervé est la maison de toutes les joies et de tous les chagrins, importante au point que Charlie ne la quitte pas pour fonder un nouveau foyer avec Basile et que les cinq filles Verdelaine, au lieu de s'en éloigner, attirent au contraire leurs amis et leurs amours dans la maison familiale, y recréent la famille de leur coeur sans se séparer. Mélaine sauve son héritage des mains de parents indélicats et conserve ainsi le manoir familial. La quête de la maison, du foyer lutte avec le sentiment d'abandon et de solitude inhérents à la situation d' « orphelinage », pour reprendre l'expression d'Ole Wehner Rasmussen. Elle induit aussi le besoin de connaître ses racines et de conserver ou de retrouver la mémoire des siens, de sa famille, mémoire qui aidera à construire son identité comme le prouve l'histoire de Harry Potter qui se construit au fur et à mesure qu'il apprend l'histoire de ses parents. L'absence d'affection parentale, affection qui se communique aussi et paradoxalement dans l'opposition aux parents au moment de l'adolescence en particulier, la rivalité avec les frères ou soeurs qui perd de sa force par manque d'arbitrage des parents créent un manque psychologique important et rendent l'orphelin invisible à lui-même comme Mélaine qui dit n'exister pour personne ou comme Harry qui se nourrit du regard de ses parents lorsqu'il découvre le miroir du Riséd dans le deuxième tome de ses aventures. Le thème du regard porté sur soi est vital pour l'orphelin et rappelle l'importance du regard de la mère sur le nouveau-né et son développement affectif. Mélaine revit grâce à ses deux tantes photographes qui la regardent vraiment, Harry voit et surtout est vu par ses parents grâce à la magie du miroir, Mado a besoin du regard de Patty et réciproquement, Malika Ferdjoukh nous donne à « voir » les soeurs Verdelaine par le regard de l'une d'entre elles dans chaque tome de sa quadrilogie, c'est lors de sa première représentation théâtrale d'ailleurs que Bettina « regarde » vraiment sa soeur Hortense, enfin c'est sous le regard bienveillant de mademoiselle Minton que Maia choisira le Brésil pour nouvelle patrie, pour nouveau foyer. Invisible à ses parents, l'orphelin devient visible par la narration et par le double regard du narrateur et du lecteur. Les différents textes que nous avons pu lire ici dressent cependant le portrait d'orphelins révélant tous une force de caractère particulière : doué d'un élan vital proportionnel au manque affectif et au vide laissé par les parents, l'orphelin ne se laisse pas abattre et aborde l'existence avec pugnacité et optimisme, que ce soit dans le quotidien de la vie bretonne des soeurs Verdelaine ou le destin brésilien et exotique de Maia, quoique l'état d'orphelin apporte forcément un côté extraordinaire aussi aux soeurs Verdelaine, comme à tous leurs compagnons littéraires. La force de l'orphelin qui a perdu père et mère dans notre corpus réside dans l'espoir qui le dispute toujours au chagrin : même l'apparente résignation de Mélaine qui admet être laissée pour compte depuis des années par sa grand-mère n'arrive pas à cacher sa capacité à espérer une vie meilleure. Preuve en est la rapidité avec laquelle elle s'adapte au nouveau style de vie, gai et coloré, que lui proposent ses tantes photographes et la pugnacité qu'elle révèle dans la reconquête de la maison et du passé familiaux.
Pour la reprise en main de leur destinée d'enfant seuls, les orphelins bénéficient d'armes spécifiques. La première est la liberté, aspect positif de la solitude et de l'absence des parents. Liberté de mouvement, de pensée, d'émotions non contenues, et liberté d'agir que les enfants et adolescents dotés de parents bien présents ne peuvent goûter. Les parents de Clara-Camille l'auraient-ils laissé partir pour la Californie, seule chez un monsieur d'un âge certain et entouré de jeunes gens en rupture avec la société que Jérémiah essaie de remettre sur de bons rails ? Maia aurait-elle eu tout loisir d'aider Finn à fuir son terrible grand-père et de se cacher avec lui dans la jungle brésilienne ? Mélaine aurait-elle pu se battre quasiment au sens physique du terme contre la partie la moins recommandable de sa famille qui n'hésite pas à tuer quiconque la gène ou à persécuter la grand-tante Mélanie devenue folle de chagrin ? James et Lily Potter auraient-ils laissé leur petit garçon Harry affronter dès l'âge de onze ans le terrible Voldemort ? On peut en douter fortement et c'est parce que les différents substituts parentaux qui entourent les orphelins ont plus de distance avec eux que les parents réels, et ce malgré leur sincère affection, que les orphelins peuvent faire montre de leurs qualités quasi adultes de courage, de sens des responsabilités et d'opiniâtreté en toute liberté. Nous en trouvons un exemple frappant dans le premier tome des aventures de Harry Potter : la figure substitutive du père la plus importante est celle qu' « incarne » le professeur Albus Dumbledore, grand magicien s'il en est et directeur de l'école de Poudlard. Malgré le haut degré de protection dont il entoure Harry dès le décès de ses parents, il lui met la bride sur le coup et le laisse affronter diverses épreuves seul ou quasiment, lui permettant d'acquérir l'autonomie dont il aura besoin pour résoudre le traumatisme initial en luttant contre Voldemort puis en l'anéantissant. Isabelle Smadja exprime clairement les relations qui unissent Harry et Dumbledore dans son ouvrage Harry Potter, les raisons d'un succès. Du grand sorcier à la barbe blanche « tout à la fois complice, ami, confident et protecteur » de Harry sur lequel il veille personnellement au point qu'il ne risque rien de Voldemort s'ils restent à proximité l'un de l'autre, Isabelle Smadja dit « qu'on ne sent pas en lui la résistance d'un père lorsqu'il s'agit de laisser l'enfant devenir grand et acquérir son autonomie ». Il en va de même pour la Reine Élisabeth première qui se comporte comme une deuxième mère pour Lady Grace Cavendish mais la laisse affronter un meurtrier au coeur même de la Cour et lui confie des charges de « détective » royal à la fin du premier volume de ses aventures. Charlie Verdelaine, tout à la fois père et mère substitutifs pour ses quatre soeurs, et malgré un solide sens de la responsabilité qui pèse sur ses épaules, permet à Geneviève, Bettina, Hortense et Énid de vivre à leur guise et d'affronter leur chagrin mais aussi les nouvelles expériences inhérentes à leur âge. Mademoiselle Minton permet à Maia de vivre quelques mois auprès de son ami Finn dans la jungle brésilienne et pas seulement parce qu'il est le fils d'un homme qu'elle a sans doute profondément aimé. La distance qu'instaure son statut de gouvernante, donc de mère secondaire, l'autorise à laisser sa protégée décider de la voie qu'elle doit suivre pour achever son deuil et commencer une nouvelle vie, persuadée que Maia est une enfant exceptionnelle, destinée à une existence exceptionnelle, exprimant ainsi l'aspect universel du personnage orphelin.

Charles Dickens publie Les aventures d'Olivier Twist en 1838, en 3 volumes, et commence la publication mensuelle de L'histoire, les Aventures et l'expérience personnelles de David Copperfield le jeune en 1849.

Virole, Benoît, , La leçon d'Harry Potter, Lecture jeune, décembre 2005, p. 26-30.

Rowling, J.K., Harry Potter à l'école des sorciers [Harry Potter and the philosopher's stone, 1997], traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Éditions Gallimard, « Folio junior », 1998.

Trobas, Marie-Hélène, Harry Potter mérite-t-il son succès ? Analyse d'une oeuvre qui pourrait transformer la perception de la littérature de jeunesse, rédigé sous la direction de madame Laïli Dor, Université du Maine, 2003, non paginé.

Wehner Rasmussen Ole, Enquête sur les origines et la spécificité de la littérature pour enfants, in Revue romane, 1983, p. 18,

Rowling, J.K, Harry Potter et la chambre des secrets, [Harry Potter and the chamber of secrets, 1998], traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Éditions Gallimard, « Folio junior », 1999.

Smadja, Isabelle, Harry Potter, les raisons d'un succès, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 89.


Source photographique : Léa sur myspace.com

samedi 25 septembre 2010

"Le mur"

En 2010, Pocket Junior édite en grand format le premier roman d'Emma Clayton, en science-fiction, paru aux USA en 2008. Ce premier volume, qui est aussi le tome un intitulé "La peste animale" attend la parution d'une suite à venir en 2011. Ce roman propose aux lecteurs adolescents une lecture captivante dans laquelle ils retrouvent certains des thèmes qui leur plaisent. Celui de l'orphelin (quelle surprise !), avéré ou qui se croit tel, en l'occurrence Ellie, brutalement séparée de sa famille par  l'homme qui incarne le Mal (et d'ailleurs il se prénomme Mal, n'y allons pas par quatre chemins). Ellie est orpheline de fait puisque ses parents la croient morte : enfant-mutant, elle a été enlevée par Mal Gorman pour être étudiée, sorte de prototype d'une future armée d'enfants. C'était compter sans le lien puissant qui unit la jeune fille à son frère jumeau Mika qui n'a de cesse de la retrouver envers et contre tous. Par le biais d'un pseudo concours de jeu vidéo où les adolescents s'entraînent à piloter des engins de guerre, Mika et cinq autres enfants-mutants sont formés pour être de super soldats dans un monde où un mur a été érigé des décennies plus tôt afin de  protéger l'humanité de la peste animale qui a ravagé l'hémisphère sud, devenu inhabitable. Protection de la nature et de l'enfance, liens particuliers des jumeaux, réchauffement du climat et gaspillage des ressources, destruction de l'environnement nourrissent un roman de SF haletant où l'amitié tient sa place, voire les premiers émois amoureux, ainsi que l'importance des liens familiaux. Ces thèmes, qui deviennent récurrents dans le roman pour adolescents, entérinent le rôle de passeur de message de l'auteur et se mêlent ici au questionnement politique, à l'observation critique des dirigeants, au thème de la pureté de l'enfance  non encore corrompue, à celui de la pureté d'un monde naturel rappelant le Paradis originel. Ce texte souhaite visiblement répondre aux besoins  du jeune lectorat  d'optimisme et de lecture positive. L'auteur joue son rôle de messager qui alerte et incite à réfléchir  : quel est le rôle de la jeunesse dans la construction de l'avenir ? Le roman s'arme, à propos des grands problèmes contemporains, d'un miroir à usage collectif, celui des membres de la jeune génération. Par le biais de l'anticipation, l'auteur établit un constat, celui des erreurs des générations passées, alerte et encourage la jeunesse à réagir. Les souffrances de l'enfance dues à l'absence de famille, le comportement irresponsable des adultes, la mission  de réparation  dévolue à un(e) orphelin(e) lucide qui rétablit un équilibre rangent Emma Clayton aux côtés d'une Loïs Lowry ("L'élue") ou d'une Anne-Laure Bondoux ("Le destin de Linus Hoppe") entre de multiples autres. Comme le souligne Eoin Colfer (papa d'Artémis Fowl) sur la quatrième de couverture, le deuxième tome sera sans doute attendu avec impatience par les lecteurs du premier, ne serait-ce que pour accompagner Ellie et Mika dans leur rôle d'enfants sauveurs du futur de la planète.
Photographie de Justin McIntosch : Barrière de sécurité en Cisjordanie, Wikimedia commons

jeudi 23 septembre 2010

"De l'autre côté de l'île"

Les Éditions Thierry Magnier ont publié en 2009 ce long roman de l'Américaine Allegra Goodman dont le titre original est "The other side of the island". Les romans d'anticipation destinés aux adolescents soumettent à leur sagacité des histoires où les préoccupations de nos sociétés actuelles occupent le devant de la scène. Dans un monde d'îles et d'eau où la Mère Nourricière, rappel féminin d'un Big Brother, contrôle la nature, le climat et les gens parmi lesquels les récalcitrants ont vu leur mémoire annihilée et leur identité remplacée par un matricule, Honor devient provisoirement orpheline car ses parents, "Partisans" c'est-à-dire résistants à ce monde artificiel et prévisible créé par une matriarche omnipotente, ont "disparu " subitement de la Communauté et sont devenus des agents, êtres déshumanisés par une nourriture et une eau empoisonnées. Cette fausse déesse nourricière maintient les êtres humains dans une dépendance complète.  L'embrigadement des enfants à l'école sur la protection totale qu'elle dispense généreusement, son amour matriarcal absolu, sur l'obsession de la sécurité et de la lutte permanente  contre l'Imprévisible fait écho aux préoccupations de nos sociétés développées, à leur crainte des changements climatiques et au fantasme humain du contrôle de la Nature. Honor, qui porte bien un prénom rare dans cette société et la désigne au lecteur comme un être unique, se libérera de la propagande de la Mère Nourricière pour sauver sa mère transformée en agent, retrouver son père dans la résistance des Partisans et découvrir, dans un rebondissement final, que le Partisan en chef, nommé ironiquement le Météorologue face au pseudo contrôle du temps qu'il fait par la "Big Mother" du récit, travaille au sein de la Communauté, incarné, est-ce un symbole, par la bibliothécaire de l'école. Monde féminin de la connaissance et de la transmission face à une fausse bienveillance maternelle. Le discours officiel  sur la volonté de la Mère Nourricière de contrôler le climat  et toute la nature pour protéger les humains survivants d'une catastrophe planétaire incite à se questionner sur notre attitude  vis-à-vis de la nature. Écologie, environnement, protection des milieux naturels mais aussi acceptation de la nature telle qu'elle est  avec ses dangers reste le message premier de ce roman qui table aussi sur la question de la sécurité (à tout prix ?), la facilité à contrôler l' humain par la peur, à disposer de lui contre sa volonté.  Un brin d'intertextualité (Le secret de Térabithia, par ex.) convainc le jeune lecteur que l'auteur lui parle du monde dans lequel il vit aujourd'hui en évoquant un texte connu de lui. Ce roman de Katherine Paterson permet, parce que la Mère Nourricière  du récit d'Allegra Goodman a ordonné que la tristesse soit abolie et que les êtres  soient maintenus dans une sorte d'enfance éternellement bienheureuse et naïve, de nourrir l'idée qu'il faut affronter la vie telle qu'elle est. À la fin du roman, Térabithia meurt noyée. Honor découvre une fin qu'elle ignorait parce que tronquée et changée par un être omnipotent aux pouvoirs dictatoriaux. Le chagrin, le deuil, la mort existent, il faut les accepter. Il n'est nul besoin d'une Mère Nourricière pour affronter l'existence, il faut se libérer de la fausse protection qui entraîne une vie illusoire. Cette société lénifiante qui édulcore la vie même dans les livres (la bibliothécaire coupe au sens propre du terme les passages tristes des ouvrages dont elle a la charge) infantilise les êtres et leur fait croire que "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes". Parce que séparés brusquement  de parents réfractaires, les orphelins deviennent lucides et cessent de croire à ce monde parfait. L'innocence meurt avec la certitude qu'on est seul au monde. Si Honor seule ne sauve pas les autres, elle participe activement à la révolte préparée par des adultes résistants dont son père. Son lien particulier avec Octavio, le poulpe de l'école auquel elle permet de s'évader et qui la sauve à son tour, symbolise le lien privilégié du personnage orphelin avec la nature, le lien originel et  primordial de l'être humain avec son environnement naturel. Les difficultés de la jeune fille à se libérer de l'embrigadement sécuritaire  de la Mère Nourricière symbolisent la peur ( et le désir à la fois) de l'adolescence à évoluer tout en gardant ses parents,  à devenir autonome tout en restant leur enfant. Le roman d'Allegra Goodman conclut sur la peur humaine du monde tel qu'il est : imprévisible, donc ennemi par essence de toutes les dictatures. Entre outre, deux mythes fondateurs, celui du déluge et celui du jardin édénique, aident l'auteur dans la transmission au jeune lecteur d'un message lucide et positif dans un texte long mais captivant.

Source photographique : Wikimedia commons

vendredi 9 juillet 2010

"Reine du fleuve"

Plus libre de ses faits et gestes qu'un enfant ou un adolescent qui grandit sous la protection de ses parents, l'orphelin romanesque peut vivre de véritables aventures, sans souffrir de culpabilité vis-à-vis d'eux. Le terme "aventures" désigne à la fois ce qui doit advenir, mais aussi un ensemble d'activités, d'expériences qui comportent du risque, de la nouveauté et auxquelles on accorde une valeur humaine, comme le précise le dictionnaire. Eva Ibbotson, britannique, publie en 2004, dans une traduction de Élie-Robert-Nicoud, un roman d'aventures destiné au lectorat adolescent. Son titre, Reine du fleuve, a reçu en 2001 le prestigieux prix Smarties décerné par plus de mille écoles anglaises. Dans l'Angleterre du tout début du XIXe siècle, Maia Fielding est pensionnaire d'une école pour jeunes filles à Londres. Orpheline depuis deux ans, elle pleure des parents aventuriers et archéologues décédés dans un accident de chemin de  fer en Égypte. Par son tuteur chargé de gérer sa fortune, elle apprend que des parents éloignés veulent bien l'adopter et la recevoir chez eux au Brésil où ils sont partis faire fortune dans le commerce du caoutchouc. Même si son existence à l'école est agréable, car entourée de directrices, professeurs et camarades bienveillantes, Maia n'hésite pas longtemps à mettre de côté son don pour la musique et une éventuelle carrière dans le chant en traversant l'Atlantique :
    "Mais que valait ce talent en comparaison d'un foyer aimant ?"
L'espoir d'un nouveau foyer lui donne le courage de partir loin de son école qui en tenait lieu jusque-là. Si le texte fait allusion assez rapidement à la douleur qu'elle a dû surmonter seule après le drame de la disparition de parents aimants, ce n'est qu'à la page 52 de ce texte qui en comprend 380 que les sentiments de Maia sont directement exprimés. Elle vient d'arriver dans ce qu'elle croit être son nouveau foyer, accompagnée par la nouvelle gouvernante que les Carter, sa famille éloignée et adoptive, ont engagée et qui a fait la traversée de l'Atlantique avec elle. À sa grande surprise, la gouvernante n'est pas autorisée à prendre ses repas du soir avec la famille  et Maia ne peut s'empêcher de se souvenir de la grande place qu'occupait celle qui vivait avec elle et ses parents :
    "Elle avait eu une gouvernante avant d'entrer à l'école et celle-ci avait fait partie de la famille. Elle prenait tous ses repas à la table familiale, sauf quand les parents de Maia recevaient.  Et à sa grande stupéfaction, Maia sentit sa gorge se serrer en se rappelant la chaleur et les rires de son ancien foyer."
L'expression "avait fait partie de la famille" n'est pas anodine : la gouvernante Mademoiselle Minton, malgré son air dur et son comportement parfois revêche, devient la seule famille de Maia qui va vite souffrir de l'attitude des Carter qui n'en veulent qu'à sa fortune et comptent dessus pour renflouer leur situation financière catastrophique. Seule la gouvernante connaît les intentions réelles de ces pseudo-parents adoptifs, intentions  qu'elle décide de cacher à la jeune fille :
   " Cette pauvre enfant avait assez souffert de la mort de ses parents."
Et bien qu'elle se sente dans cette nouvelle maison comme dans une prison, bien que les jumelles Gwendoline et Béatrice, que Maia se faisait une joie de rencontrer, soient les pires pestes, c'est tout de même dans ce nouveau pays que l'enfant reconstruira sa vie, ne serait-ce que parce que ses parents, comme ceux de Clara-Camille (cf article "L'orpheline dans un arbre"), ont transmis à leur fille suffisamment d'amour pour qu'elle le transforme en force intérieure. Ainsi, le moindre souvenir lié aux parents perd sa capacité à réveiller la douleur et s'avère au contraire un moteur pour avancer. Lors d'une de ses premières soirées au bord du fleuve Amazone, près de Manaus où les Carter se sont installés, Maia ne peut s'empêcher d'observer les indiens qui vivent dans des cabanes près de la maison et servent les Carter. Elle entend une mélodie sifflée par quelqu'un qu'elle ne peut distinguer dans l'obscurité :
    "Mais juste avant de quitter la fenêtre, elle entendit quelqu'un qui sifflait.(...) Le plus étrange, c'est qu'elle connaissait cette mélodie. C'était une chanson du nord de l'Angleterre- Blow the wind southerly- que sa mère  lui avait souvent chantée (...) Comme il avait été réconfortant d'entendre cet air familier, si loin de chez  elle."
L'orphelin, à l'instar de Maia , est porté par un élan vital qui pousse la jeune fille à connaître le Brésil, à aller de l'avant au contraire des jumelles engoncées dans le passé parce qu'elles  vivent avec leurs parents et parce que leur mère refuse le mode de vie brésilien, s'entête à vivre comme en Angleterre. Pour Maia, très vite, nouveau pays rimera avec nouveau foyer :
    "Je ne veux plus rentrer, car j'ai vu ce que je cherchais, ce que j'espérais trouver ici."
Aidée par Mademoiselle Minton qui a à coeur de lui enseigner le courage, Maia se détache peu à peu du souvenir maternel et devient affectivement plus autonome. Au professeur de musique qui lui enseigne le piano et veut l'encourager à développer son talent pour le chant, Maia répond résolument :
   "Ma mère était chanteuse, elle était merveilleuse, et je ne veux pas essayer de l'imiter".
La distance avec le passé, sans signifier l'oubli,  doit peu à peu aider à faire le deuil des parents et donner la force de se construire une nouvelle existence : pour Maia, la distance géographique et l'exotisme brésilien sont deux moteurs essentiels. Malgré un rappel bref en Angleterre par son tuteur Monsieur Murray, qui reproche à la gouvernante une escapade trop longue à son goût de la jeune héritière dans la jungle et parmi une tribu d'indiens, celui-ci, figure paternelle bienveillante, comprend vite  où se trouve réellement le bonheur de l'enfant. Il autorise mademoiselle Minton à devenir sa co-tutrice et à l'élever dans sa patrie d'adoption  et de coeur, le terme patrie prenant ici le sens non pas de pays du père mais de pays protecteur et accueillant, père et patrie se confondant. Libérée de la douleur provoquée par la mort de ses parents, émancipée de sa vie de pensionnaire, même heureuse, en Angleterre, Maia qui "a goûté à la liberté ª, trouve une nouvelle famille au Brésil, famille dans laquelle Mademoiselle Minton, elle aussi attachée à ce pays pour des raisons personnelles qui rejoignent celles de Maia, trouve l'occasion d'exercer ses talents maternels. Et ce nouveau foyer en annonce un autre, celui qu'elle fondera vraisemblablement avec le jeune Finn Taverner. Maia est l'emblème de l'orphelin apte au bonheur  : sa devise héritée de son père reste envers et contre tout "Carpe diem"et elle tente avec succès de lui être fidèle tout au long du récit d' Éva Ibbotson. Fine pédagogue, Mademoiselle Minton, à la fin de l'histoire de sa protégée, résume parfaitement l'état d'esprit de l'enfant :
    "Je crois que quelque chose s'est brisé en Maia à la mort de ses parents, et là-bas, elle a trouvé le remède.(...) je crois que les enfants  doivent vivre des vies exceptionnelles s'ils sont faits pour ça. Et Maia est faite pour ça."
Mademoiselle Minton nous livre ici une subtile mise en abyme de la place littéraire qu'occupe le  personnage orphelin : exceptionnel, il est digne de porter le récit romanesque depuis le XIXe  siècle.
Éva Ibbotson, Reine du fleuve, Éditions Albin Michel, 2004

Source photographie : http://zarkanzar.blogspot.com/2010_03_29_archive.html

jeudi 8 juillet 2010

" Lady Grace, un assassin à la Cour"

Nous avons vu que le roman dit réaliste ou de société n'a pas le monopole du personnage orphelin. Le roman historique n'est pas en reste qui offre au personnage de l'enfant ou de l'adolescent seul de nouveaux cadres pour évoluer. Bertrand Solet désigne   le roman historique pour la jeunesse « comme une fiction ayant le passé pour cadre, passé lointain ou proche... ». Il précise également que le roman historique doit respecter « non seulement la vérité historique, mais le typique dans cette vérité, qu'il s'agisse de l'action, des personnages ou du cadre ». Patricia Finney l'a entendu : l'auteur  entraîne le jeune lecteur à la cour de la reine Élisabeth d'Angleterre première du nom, sur les pas de la jeune Lady Grace Cavendish, orpheline  de père et de mère et demoiselle d'honneur de la souveraine. Lorsque débute le récit, la jeune Lady Cavendish explique qu'elle va commencer la rédaction d'un journal sur un cahier destiné à recevoir ses « prières et examens de conscience » mais la jeune aristocrate compte bien l'utiliser à raconter sa vie, à parler d'elle  :
    "Je vais tout écrire dedans".
Dès le début de son récit à la première personne, elle indique le décès de sa mère même si c'est entre parenthèses, au sens typographique de l'expression :
"La personne que j'aime le mieux au monde (hormis ma chère mère qui nous a quittés, Dieu ait son âme), c'est Sa Majesté la Reine.
 Dans une même phrase, Grace mentionne son état d'orpheline et désigne la personne qui fait figure de mère substitutive. Élisabeth Première a pris la jeune fille sous son aile et lui a donné rang de demoiselle d'honneur en souvenir de sa mère, dame de compagnie de la Reine. Celle-ci se sent redevable à la jeune Lady de treize ans car sa mère est morte en absorbant un poison destiné à la souveraine. Elle endosse doublement alors le rôle de mère de substitution, personnellement et politiquement en tant que protectrice de ses sujets. Soucieuse de l'avenir de la jeune fille, elle l'enjoint de choisir un futur époux au bal de la Saint-Valentin qui se prépare à la Cour. Grace, qui comprend la réticence de la reine à se marier elle-même, se résigne :
    "Las ! Moi, j'y suis contrainte, justement. La reine en a décidé ainsi".
Particulièrement éveillée et dynamique, le jeune fille n'a rien à voir avec ses compagnes de chambrée, elles aussi demoiselles d'honneur de la reine et auxquelles Grace ne veut surtout pas ressembler. Lorsque Mrs Champernowne qui supervise les jeunes filles l'arrête dans  l'escalier qu'elle dévale quatre à quatre et la somme de le descendre posément comme Lady Sarah, Grace ne peut s'empêcher de penser à part soi :  
"Prendre exemple sur Lady Sarah ? Oui da ! et couiner à la première araignée qui passe, et n'avoir rien d'autre en tête que mon teint de lait, mes boucles rousses, et le rêve éperdu qu'un stupide gentleman écrive un sonnet à la gloire de ma gorge de pigeon. Pouah !"
C'est aussi une toute jeune fille pourtant qui regrette sa mère absente au moment de se préparer pour son premier bal, évoquant tout comme les sœurs Verdelaine ou Mado  (cf articles "Quatre soeurs " et " La vie comme elle vient" )  l'indispensable rôle maternel  de conseil et d'initiation :
 "Et quand j'ai reconnu, au bout des aiguillettes, les ferrets ornés de roses qui étaient ceux de ma mère, j'ai senti  mon coeur chavirer. C'est elle qui aurait dû être là pour m'aider à me vêtir, à l'occasion de ce premier bal."
La jeune fille, même si elle a quelque peine à se reconnaître dans le miroir de Venise de la reine, garde la tête sur les épaules et lorsqu'une lingère la complimente sur son allure, Grace lui répond lucidement :
    " N'importe quelle autre serait belle dans cette robe. "
Son sens de la liberté et son caractère aventurier l'empêchent d'apprécier sa tenue de bal extrêmement sophistiquée :
 "En tout cas, comme tenue, on fait plus confortable. J'ai la taille bien trop serrée, j'ai peine à plier les bras et cette fraise me fait le cou en bois. Tout juste si je peux respirer, et pas moyen de me gratter."
Ruinant l'image traditionnelle des demoiselles de la cour qu'elle raille à la première occasion,  Grace  possède  toutes les qualités de réflexion, d'intelligence, d'indépendance d'esprit  et d'intrépidité pour résoudre le meurtre de l'un de ses prétendants le soir du bal après qu'elle a choisi son futur époux, lequel d'ailleurs est le premier suspect et est arrêté pour ce meurtre. Si la reine n'approuve pas ouvertement l'enquête que la jeune fille entreprend de conduire, elle lui laisse la bride sur le cou, ce que ne ferait sans doute pas sa mère réelle. Orpheline, Grace est plus libre de ses faits et gestes, bien que la dernière volonté de son père avant de disparaître en guerroyant en France ait été qu'elle soit fiancée à treize ans et mariée à seize. L' époux en question sera tuteur de la jeune fille et de ses biens, trouvant aussi auprès d'elle une place de père substitutif. Jeune fille simple, Grace résoudra l'affaire avec ses meilleurs amis, Masou  et Elsie, respectivement jongleur et lingère à la Cour. En sauvant de l'exécution Sir Robert qui ne souhaitait pourtant l'épouser que pour son argent, en confondant Lord Worthy, tuteur des biens de Grace dont il avoue la perte complète, en prouvant qu'il a tué son propre neveu Gerald alors qu'il destinait le poison à Sir Charles troisième prétendant, Lady Grace se libère de la culpabilité de n'avoir pu sauver sa mère morte du même poison que Sir Gerald. Elle se libère en même temps du mariage, avec l'assentiment de la Reine, et conquiert son autonomie. Elle trouve en Sir Charles un  tuteur bienveillant et obtient une charge à la Cour : la petite demoiselle d'honneur héritière et à la merci du bon vouloir des autres est nommée « première poursuivante d'armes », à savoir « gentilhomme » qui aspire à la charge de héraut d'armes, important officier des cours princières, et seconde celui-ci, comme l'explique l'auteur dans le glossaire qu'elle ajoute à son texte . Officiellement autorisée à mener des enquêtes et à résoudre des mystères à la Cour d'Élisabeth, l'adolescente dégage ainsi la possibilité à l'auteur de publier d'autres tomes de ses aventures. À la fin de ce premier volume, Grace a en outre une famille selon son cœur et a obtenu la liberté de ses choix.
Le personnage orphelin trouve sur sa route des personnages substitutifs des parents disparus : ici, et bien qu'elle soit reine, Elisabeth n'endosse pas, bien au contraire, le rôle de la marâtre cher aux contes traditionnels. Lady Grace peut s'épanouir à la Cour d'Angleterre sous le regard de cette mère substitutive bienveillante et jouer le rôle protecteur dévolu souvent à l'orphelin en résolvant des énigmes susceptibles de nuire à sa bienfaitrice. En outre, Patricia Finney pointe dans son texte le thème des relations mère-fille  : l'orpheline met en exergue la nécessité de la présence maternelle pour son développement physique et psychologique. C'est sans doute pour cela que dans la plupart des textes destinés aux adolescents, la figure substitutive de la mère est présente lorsque le héros orphelin est une héroïne et que c'est une figure substitutive du père qui accompagne le garçon orphelin.

Patricia Finney, "Lady Grace, un assassin à la Cour",  Flammarion,  2005
Bertrand Solet, "Le roman historique, invention ou vérité ?", Éditions du Sorbier, 2003 (La littérature de jeunesse, pour qui, pour quoi ?)

Source illustration : herodote.net

"Le petit coeur brisé"

Beaucoup de textes mettant en scène " l'orphelinité"  sont  édités par L'école des loisirs dans la collection Médium, et écrits par des femmes. Leurs personnages, orphelines modernes, sont victimes de la technologie contemporaine, puisque leurs parents sont morts dans un accident qui d'automobile, qui d'avion privé. Ces romans dits « de société » ou réalistes donnent une image moderne de l'orphelin que le progrès sépare définitivement de ses parents. À chaque époque ses orphelins. Si la cause du décès parental  n'est plus la misère ou l'exploitation de l'ouvrier comme elle le fut dans la littérature du XIXe siècle, les conséquences sont identiques : enfant, adolescent ou fratries livrés à eux-mêmes. La souffrance psychologique, la difficulté à faire son deuil et à grandir en même temps semblent des épreuves intemporelles pour l'orphelin, parfois liées à des obstacles matériels.
    Les parents de Mélaine sont également disparus dans un accident de voiture. Moka débute son récit  Le petit cœur brisé  par un chapitre au titre très significatif :  « Chère famille ». L'adjectif qualificatif prend tout son sens lorsque l'on a lu l'incipit :
    "Mélaine avait un an lorsque ses parents se tuèrent dans un accident de voiture. Elle ne s'en souvenait pas. Quand son grand-père mourut, elle avait quatre ans. Elle ne s'en souvenait pas non plus. Elle avait maintenant onze ans. Et sa grand-mère venait de mourir. Quant à ses grands-parents du côté de son père, elle pensait qu'ils   n'avaient jamais existé. Personne ne les avait mentionnés et ils devaient être morts, eux aussi".
On ne peut trouver sans doute de portrait plus complet de l'orphelin, livré totalement à lui-même, désormais seul représentant d'une lignée. Et la solitude de Mélaine est d'autant plus grande qu'elle n'est pas neuve au moment du décès de sa grand-mère qui l'élevait sans s'occuper d 'elle. Mélaine est confiée à une bonne et ne voit sa grand-mère que le dimanche lorsque celle-ci reçoit de la visite. Elle tolère l'enfant mais se plaint à qui veut l'entendre :
" Mais  cette petite, c'est du tracas pour une femme seule et je ne suis plus toute jeune ".
Malgré la présence de sa grand-mère pendant dix ans auprès d 'elle, Mélaine est totalement privée d'affection et la disparition de sa grand-mère ne changera pas grand-chose à sa vie. L'auteur précise :
    "Elle avait toujours eu l'impression d 'être transparente (…) Là, elle était invisible".
La petite fille n'existe plus pour personne à part  elle-même, en même temps que plus personne n'existe autour d'elle au sens propre du terme. Et bien qu'elle soit la seule le jour des obsèques à ne pas avoir d'appétit et à ressentir quelque peine avant l'inhumation …
   " On oublia d'emmener Mélaine au cimetière".
Mélaine est orpheline à tel point qu'elle en a perdu toute consistance aux yeux du monde, aux yeux des autres. L'enfance et l'adolescence n'existeraient-elles donc que grâce au regard vital de parents, de grands-parents, ou de leurs substituts ? L'être humain n'est-il un être que parmi les autres et grâce à leur regard ? C'est ce que semble suggérer Moka qui va rapidement confier son héroïne à deux vieilles grand-tantes qui, elles, vont  redonner vie à l'enfant en la « regardant », et ce d'autant mieux qu'elles sont photographes et que leur oeil est aiguisé. Et ce regard va lui redonner l'estime d'elle-même, estime perdue car jamais rencontrée dans le regard d'autrui. C'est pourquoi Mélaine se trouve laide et considère qu'il est :
   " Normal que personne ne l'aime".
Quantité négligeable depuis toujours, elle n'est pas étonnée quand les deux tantes Gretchen et Heidi la brusquent au moment de l'emmener chez elles :
    "On l'avait toujours traitée comme un paquet de linge sale, elle n'était pas dépaysée".
Mais les deux soeurs anticonformistes, substituts maternels, transforment sa vie dès la première journée, troquant son uniforme de collège contre des jeans et des baskets, la gavant de nourritures terrestres et spirituelles sous forme de tarte aux pommes, de bandes dessinées et de titres de la littérature pour la jeunesse. Et les vieilles dames de constater :
    "Les enfants s'épanouissent quand on les arrose avec un peu d'amour et d'attention".
 Sous la houlette des deux soeurs, Mélaine va découvrir un secret de famille et résoudre une affaire de vol : de lointains cousins mal intentionnés et furieux de ne pas hériter ont entrepris depuis des années de piller le manoir de famille. En levant le mystère sur le destin de sa grand-tante Mélanie, dont elle porte à la fois le prénom sous forme anagrammatique et le « petit coeur brisé », un pendentif d'or cabossé, elle retrouve sa place dans la lignée, retrouve une identité, retrouve une famille.
    Jusqu'ici, nous avons rencontré beaucoup d'orphelines dans le roman destiné aux adolescents. Bien que publié également à L'école des loisirs dans la collection Médium, le texte de Moka s'éloigne de la veine réaliste et aborde à la fois le fantastique avec un personnage fantôme, l'arrière-arrière-grand-père de Mélaine, et l'intrigue policière où excellent dans la peau de deux « Miss Marple » fantasques les  grand-tantes qui veillent désormais sur Mélaine, deux tutrices qui « arrosent » l'enfant comme une plante, pour reprendre la métaphore déjà suggérée  à propos des sœurs Verdelaine de Malika Ferdjoukh (cf article "Quatre soeurs"). Les fantômes familiaux sont également un des thèmes récurrents dans ces romans où l'orphelin, seul ou en fratrie, doit affronter cette solitude profonde et ce désespoir dus au décès des parents, voire des grand-parents. Les sœurs Verdelaine dialoguent avec leurs parents décédés qui "réapparaissent "pour les guider. Mado, héroïne de Anne-Laure Bondoux( cf article "La vie comme elle vient") s'adresse à ses parents disparus en fixant les murs de l'appartement et en leur parlant  à haute voix. Les parents sont donc absents sans l'être, en tous les cas convoqués par le personnage et l'auteur qui les sollicite adroitement pour aider l' orphelin à progresser dans son deuil.

Moka, "Le petit cœur brisé", L'école des loisirs, 2002 (Médium)

Source illustration : Wikimedia commons

samedi 19 juin 2010

"Quatre soeurs"

Dès 2003, aux éditions de L'école des loisirs,  Malika Ferdjoukh propose, dans une tétrade remplie d'humour, sa version personnelle des  Quatre filles du Docteur March . Elle consacre aux soeurs Verdelaine quatre tomes dont chacun porte en titre le prénom de l'une d'elles. Chaque tome porte aussi le nom d'une des saisons de l'année. Ainsi, l'histoire des soeurs Verdelaine s'étale de l'automne à l'été qui clôt le récit : quatre soeurs qui sont en réalité cinq, quatre saisons, une année pour faire le deuil des parents décédés et de la vie familiale d'avant leur accident. C'est la plus jeune, Énid, qui inaugure le récit de la vie de ces jeunes filles bretonnes orphelines de leurs deux parents depuis dix-neuf mois et vingt-deux jours au moment où Énid entre en scène.  Le récit dévoile la nouvelle existence des cinq soeurs placées sous la tutelle de Tante Lucrèce qui gère leurs biens et paye les factures, bien que Charlie, l'aînée, ait la responsabilité de l'éducation des plus jeunes. Les cinq soeurs ont des tempéraments fort différents et affrontent leur deuil comme elles le peuvent. Charlie, vingt-trois ans, travaille dans un laboratoire et tente vainement de joindre les deux bouts pour élever ses soeurs et entretenir la Vill'Hervé, vieille demeure familiale  au bord de l'océan atlantique. Elle est amoureuse de Basile, jeune médecin presque trentenaire, qui ne demande qu'à l'épouser et à prendre en charge la fratrie. Mais la jeune femme a semble-t-il du mal à envisager de partager ses responsabilités aussi lourdes soient-elles et sacrifie sa vie privée pour ses soeurs. Elle porte un surnom (elle se prénomme en réalité Charlotte) à la fois masculin et féminin  qui symbolise son rôle de père et de mère de substitution tout ensemble. Geneviève a seize ans : cette vraie fée du logis, qui aime que tout soit en ordre, rangé, lavé, repassé, astiqué, a un secret : elle pratique la boxe thaïe alors que ses soeurs la croient baby-sitter. Bettina, treize ans et demi, flanquée de ses deux amies Denise et Béhotéguy (Énid nomme le trio la division Bête et Bouchée ou DBB), est la peste de la famille; elle occupe indéfiniment la salle de bain et casse les pieds à tous. Hortense, onze ans, est la « Jo March » de la fratrie : elle passe son temps à lire les livres des autres et à écrire le sien. Enfin, Énid, neuf ans, encore une enfant, cherche auprès de ses grandes soeurs une nouvelle présence maternelle. Quant à Fred et Lucie Verdelaine, leurs parents, ils se sont tués dans un accident de voiture : carbonisés, ils n'ont pu être inhumés et leur tombes sont vides. Cet accident n'est évoqué de façon précise qu'à la page quatre-vingt dix-sept du tome consacré à Énid, le premier de la tétrade. Parce que le grand sycomore, symbole et de la maison et de l'histoire de la famille, a été arraché par la tempête et précipité le faîte le premier dans le vieux puits, Énid, est très inquiète pour Swift, sa pipistrelle qui vivait en compagnie de Blitz l'écureuil dans le vieil arbre mort. Avec l'aide de son camarade Gulliver, elle décide de descendre dans le puits pour sauver Swift. Lorsque le garçon insinue que la chauve-souris pourrait ne pas avoir réchappé de la tempête, Énid envisage son inhumation  sans émoi apparent. C'est alors que :


  ... Gulliver se souvint que les parents d'Énid n'avaient pas de tombe, leur voiture avait brulé lors de l'accident ; ils avaient péri carbonisés. Sous la pierre qui portait leurs noms au cimetière, il n'y avait personne.



Le lecteur, cependant, se doutait bien qu'un drame avait touché de près cette famille car Énid ne se rend pas  dans sa chambre  sans pincement au coeur lorsqu'elle passe devant une des portes du premier étage. Cette première allusion page douze est renforcée par une seconde plus concise mais plus douloureuse aussi : 
 Puis il y avait cette fichue quatrième porte ... 
L'auteur use d'une très grande pudeur et n'aborde directement le drame que relativement tard dans un premier récit de cent trente-huit pages. Elle suit en cela le rythme d'Énid qui peu à peu effectue son travail de deuil. Alors que, comme le sycomore et selon le mot d'enfant d'Énid, toutes les filles sont « dégringolées de l'intérieur », que les disputes sont d'autant plus douloureuses qu'elles ne sont plus arbitrées par les parents, la petite fille découvre avec son ami Gulliver la tombe de la première propriétaire de la maison, morte aussi dans un incendie. Sa harpe, posée sur sa tombe, hurle telle un fantôme sous le courant d'air que la chute du sycomore a provoqué. En tombant dans le puits, il a  dégagé un conduit qui mène sous la falaise où se trouvent les tombeaux de la dame et de son époux. Et la petite fille de faire son deuil : 
   Énid et Gulliver contemplaient les deux sépulcres et tandis qu'au-dessus de leurs crânes, l'âme de Guillemette jouait de la harpe via l'esprit du vent, Énid pensa à ses parents morts, brûlés eux aussi dans leur voiture accidentée. Et brusquement, là, sous la terre, elle se mit à pleurer. 
Malika Ferdjoukh clôt ce premier tome  comme elle l'a initié, sur l'espoir, le deuil accompli et le goût de la vie chez ces filles à l'humour inégalable. Énid trouve le repos du coeur : 
   Elle se sentait en paix avec la musique, en paix avec tous les fantômes de la terre et d'ailleurs.  
Elle a achevé son deuil à la fin du récit de ce premier volume, pour preuve : 
  Pour la première fois depuis la mort de ses parents, Énid passa sans courir devant la quatrième porte du premier étage. Elle faillit même entrer.
Dans le deuxième tome de cette quadrilogie,  c'est l'hiver et Hortense entre en scène. À elle de faire son deuil et d'accepter le temps qui passe, les évolutions et les nouvelles épreuves de sa vie. La narration à la troisième personne est régulièrement enrichie des extraits du journal de la jeune fille. Comme la plupart des adolescents dotés de frères  et soeurs, elle pense souvent qu'elle aurait préféré être fille unique. À l'inverse, le fantasme d'un fratrie hante fréquemment l'enfant seul. La conception particulière de « l'orphelinité » selon Hortense nous est révélée dès la première page par Malika Ferdjoukh ; la jeune fille se confie à son journal en ces termes : 
Être fille unique, j'aurais adoré. Puis je me rends compte que ça signifie cette chose affreuse : je me serais retrouvée orpheline à la mort de papa et de maman, et alors j'ai un frisson.
 Hortense ne se sent donc pas orpheline grâce à  la présence de ses soeurs : pour elle, être orpheline signifie à la fois absence des parents, absence physique et affective, mais aussi solitude. Or, la Vill'hervé est pleine de vie et de présence chaleureuse grâce aux cinq filles Verdelaine qui s'entourent mutuellement d'affection et de rires. Pourtant, trouver sa place n'est pas simple pour Hortense :
  Pourtant c'est difficile d'être 1 parmi 5, une dans la multitude. J'ai du mal à le supporter des fois.
Elle a du mal aussi à exprimer à soi-même sa douleur et son affliction et elle confie à son cahier son incapacité à verser des larmes apaisantes : 
  Moi, je ne saurai jamais pleurer. Moi, pour que je pleure, il faut me rouer de coups. Le dernier coup que j'ai reçu, c'était la mort de papa et maman. Et encore je n'ai pas pleuré tout de suite : trois semaines pour que je comprenne.
Hortense, parangon de l'enfance et de l'adolescence sous les coups absurdes du destin, se fait le porte-parole de tous ses frères et soeurs orphelins : le décès brutal des parents est « un coup » incroyable au sens propre de l'adjectif et impossible à accepter. Dans un autre extrait de son journal, elle décrit physiquement ses soeurs aînées et nous avons donc un portrait flatteur de chacune par les yeux et la plume d'Hortense. En arrivant à soi-même, elle se déprécie et en bonne littéraire, elle fait appel à Gérard de Nerval.  Elle est la « Desdichada », la déshéritée : 
  La sans-rien. Je ne sais pas à qui je ressemble.
Hortense dévoile là une des difficultés des orphelins : garder le lien qui unit aux parents décédés, conserver le sentiment d'avoir des racines par la ressemblance physique ou de caractère. Et Hortense de se désoler : 
  Pas à maman qui était gaie ... Je devrais dire : je ne sais pas à quoi je ressemble. À rien. Je ne ressemble à rien (...) Pas à papa. Papa qui aimait tellement les gens.
 Malgré ce passage à vide où elle se déprécie, particulièrement lorsqu'elle se compare à sa soeur Bettina, Hortense a elle aussi sa personnalité. Plusieurs expériences au cours de cette saison vont l'aider à mûrir et à avancer dans la résolution de son deuil. Elle a la révélation de sa vocation théâtrale  : écoutant les conseils de son professeur de Lettres qui souhaite l'aider à mieux s'exprimer  et à vaincre sa timidité, elle s'inscrit au cours d'un certain Lermontov qui lui confie très vite le rôle d'Hortense dans Le petit-Maître corrigé de Marivaux. La première représentation est un triomphe et sous les yeux de ses soeurs profondément émues, Hortense tourne une page de sa vie, avance sur son propre chemin. Elle aura cependant  à vivre une nouvelle épreuve, un nouveau deuil, celui de son amie Muguette, leucémique, qui est venue passer un bout de convalescence dans la villa   voisine. Très vite liées, les deux jeunes filles connaissent l'une et l'autre l'issue fatale et Hortense se prépare à ce nouveau « coup » qui ne la frappera qu'à la fin du tome consacré à Bettina. Le tome deux de la tétrade, tome consacré à la jeune comédienne, se conclut sur les fêtes de Noël ; Hortense note le réveillon et lui donne : 
  ... 10/20. Ni bon ni mauvais ; sans maman ni papa, ça ne sera plus jamais aussi bien de toute façon.
Et malgré cette douloureuse constatation, malgré la maladie de Muguette partie en urgence à l'hôpital le 25 décembre à cause d'une chute de plaquettes, le récit se termine dans la paix de Noël et la tendresse fraternelle. À la question de son aînée qui lui demande ce qu'elle aime le plus au monde, Hortense répond : 
  « Eh bien, c'est en ce moment. Tenir ce vieux Roberto sur mes genoux et vous écouter dire des âneries ».
Le troisième volet du quadriptyque annonce le printemps et Bettina. L'incipit dénonce le caractère égoïste de l'adolescente, et sa relation à la fratrie : 
  Parfois, Bettina pensait que si elle n'avait pas eu de soeur, elle ne s'en serait pas porté plus mal. Elle eût préféré l'équivalent ... en frères. Ou mieux : une jumelle. Deux elle-même.
Bien qu'elle ait dressé jusque-là un portrait détestable mais toujours drôle de la troisième fille Verdelaine, l'auteur ne peut dissimuler plus longtemps au lecteur que Bettina va évoluer, laisser de côté ses sarcasmes à l'encontre de l'une ou l'autre de ses soeurs ou d'autres adolescents. Et l'honnêteté veut qu'elle peigne à travers Bettina le portrait d'innombrables adolescentes mal dans leur peau, ne trouvant pas toujours un biais très adroit pour exprimer leur mal-être. À l'instar de ses soeurs Énid et Hortense, Bettina doit aussi faire son deuil, à un moment de sa vie où les relations avec les autres, notamment avec les garçons, deviennent cruciales. C'est aussi la période où les relations avec les parents s'intensifient, basée sur l'opposition constructive de l'adolescent qui prend peu à peu son autonomie et ses distances. C'est pourquoi Bettina, chronologiquement au centre de la fratrie orpheline, est peut-être celle qui aura le plus à souffrir de l'absence de Fred et Lucie Verdelaine, ses parents décédés. C'est une terrible et, semble-t-il première déception amoureuse que la leçon   infligée à Bettina par le jeune Merlin Gillespie. Sa laideur physique n'avait d'abord inspiré à la jeune fille que sarcasmes et méchanceté puis honte d'apprécier sa compagnie devant ses amis. Lorsqu'elle assume enfin ses sentiments pour lui, il se détourne et cet éloignement coïncide avec un déménagement de ses parents dans la ville voisine. Désemparée, Bettina ne cesse de penser à lui : elle évolue cependant. Cette épreuve initiatique qu'elle ne confie à personne pas même à ses amies Denise et Béhotéguy s'achève lorqu'elle se déplace aussi et essaie de rencontrer Merlin sur son nouveau lieu de vie. Après avoir vu le garçon en compagnie d'une autre, elle rentre meurtrie mais grandie. Elle prend conscience de son évolution sentimentale pendant une conversation sur les relations amoureuses avec Tancrède, nouvel ami de sa soeur Charlie  dont il est amoureux mais qu'il quittera pour rejoindre Paris. Leur conversation est coupée par  Béhotéguy au grand soulagement de Bettina : 
  Elle n'était pas sûre de vouloir en savoir plus sur les mystères de la vie amoureuse adulte.
Bettina accepte l'idée de grandir  mais ne veut pas brûler les étapes : il lui faut d'abord digérer cette première épreuve. Ces premiers déboires sentimentaux sont concomitants de cette année de deuil et de maturation tout à la fois : il faut grandir, faire le deuil des parents et celui de l'amour de Merlin. Plus mûre, Bettina évite de commettre la même erreur et au lieu d'éconduire vertement un gentil Raymond qui souhaite la revoir, elle clôt paisiblement leur conversation téléphonique : 
   « C'est gentil d'avoir rappelé. Excuse-moi Raymond et merci. Au revoir. »
Enfin, avec Geneviève arrive l'été, temps des vacances et de l'insouciance, temps aussi d'a- chever et le deuil des parents et celui de la vie d'avant leur disparition. Chaque fille de la fratrie Verdelaine a suivi son propre chemin, il en est de même pour Geneviève dans ce quatrième et dernier tome. Malika Ferdjoukh confie au lecteur les sentiments de Geneviève envers sa fratrie, comme elle l'a fait précédemment pour ses jeunes soeurs : 
  Geneviève adorait avoir des soeurs. Parfois, elle en aurait aimé trois ou quatre de plus.
Ce quatrième incipit rejoint les trois premiers et révèle le caractère de la jeune fille à chaque fois. Énid aurait voulu avoir un peu moins de soeurs, Hortense confie à son journal qu'elle aurait adoré être fille unique, Bettina aurait bien aimé avoir une soeur jumelle, une autre elle-même. Chaque fille Verdelaine vit la fratrie différemment, surtout depuis que cette fratrie est devenue orpheline. Trouver sa place, construire ses relations avec chacune de ses soeurs et surtout assumer le sacrifice de sa vie privée accordé par Charlie pour élever ses cadettes reste une épreuve pour chacune, une étape à passer pour entrer dans la vie adulte, même si c'est très tôt pour Hortense et Énid. Mais l'épreuve suprême reste de finir le deuil parental, et chacune s'y emploie à sa façon. Geneviève se rend compte d'ailleurs que : 
  ... oui, en un sens, ses quatre soeurs et elle avaient été abandonnées. Elle n'avait encore jamais envisagé les choses comme ça.
L'été, au bord de l'Atlantique comme ailleurs, est traditionnellement la saison des amours.  Geneviève n'y dérogera pas, mais ses amours vont lui réserver une nouvelle épreuve qui lui permettra de prouver sa force intérieure et de progresser vers la vie adulte. En ce mois de juillet, alors que Charlie travaille, que Bettina est partie en vacances avec Denise et Béhotéguy à seulement cinquante kilomètres de la Vill'hervé et qu'Hortense a entraîné Énid à Paris chez les cousins Harry et Désirée, Geneviève vend des glaces et des chichis sur la plage qu'elle rejoint tous les jours par le chemin douanier. Elle ne tarde pas à tomber amoureuse du garçon qu'elle a sorti d'un mauvais pas ou plutôt d'une mauvaise chute à vélo au bord de la falaise. L'idylle nouée est romantique à souhait, les sentiments des jeunes gens profondément sincères, mais Vigo a un secret : c'est un voleur. Parce qu'il ne donne pas signe de vie pendant plusieurs jours sans raison , Geneviève part à sa recherche et le retrouve en prison. Son amour est solide et passe outre les préjugés ou les peurs que cette situation pourrait provoquer chez toute jeune fille. Elle lui rend visite en prison pour comprendre  : il est en semi-liberté et a fait « une semaine de mitard » pour six heures de retard un soir où ils étaient ensemble. Le garçon relève la force de caractère de la jeune fille : 
  « ... Qu'est-ce que c'est, le mitard ?  (...) 
  -  Si je te le dis, tu vas pleurer. 
 -  Je pleure déjà. 
  - Pas vrai. Tu es une forte, toi. »
Il se souvient alors de leur première rencontre  et lui rappelle qu'elle l'avait mis à terre grâce à sa pratique de la boxe thaïe lorsqu'il avait essayé, au moment des fêtes de Noël, de voler le sac à main de Tante Lucrèce dans la rue. Le phénomène bien connu de la cristallisation est alors entré en jeu et explique l'impression qu'a  Geneviève d' avoir toujours connu Vigo. À la fin des vacances, toute la fratrie ainsi que les amis rencontrés par les unes et les autres le long de ces quatre récits, sont réunis à la Vill'Hervé : Vigo s'installe aussi, parce que l'amour de Geneviève, qui la fait entrer de plain-pied dans la vie adulte et prendre une nouvelle voie, le sauve de lui-même.
La vie des  quatre soeurs Verdelaine, qui à l'instar des Mousquetaires du roi sont une de plus, donne une image positive de l'orphelin mais n'occulte pas des réalités  difficiles. La question financière de leur survie (le peu d'argent laissé par les parents disparaît vite), le sacrifice de Charlie qui reste dans la maison familiale au mépris de sa vie privée, les relations aux autres, mélange de haine et d'amour,  au sein de la fratrie, la perte des repères et la quête des conseils que seuls les parents peuvent donner, tout concourt à démontrer que l'enfance et l'adolescence ne peuvent se passer de la présence réelle et aimante de parents, de tuteurs au sens horticole du terme, d'appui sur lequel la « jeune plante » qu'est l'enfant peut se développer. Humour, optimisme, joie de vivre, tendresse fraternelle et force de caractère entrent alors en jeu pour donner à voir un portrait de l'orphelin capable malgré des obstacles affectifs certains, de continuer à vivre et à devenir adulte. Une fois n'est pas coutume, ce quatrième volet de la saga Verdelaine ne s'achève pas sur la traditionnelle et redoutée visite de Tante Lucrèce. Mais la mégère ridicule rend tout de même une visite à ses petites-nièces dans le pénultième chapitre. Et Charlie de dresser le portrait de la famille idéale, quête de tous les orphelins, famille qui va hérisser Lucrèce.
Charlie fit une liste mentale et rapide de tout ce que contenait actuellement Vill'Hervé et qui risquait de rendre la tata folle d'horreur : 
- des bêtes à plumes
- des bêtes à poil
- des hommes
- des étrangers
- des jeunes
- des gens joyeux
- de la multitude
- du bazar
En décidant de rompre définitivement avec la tante en question, et en déchirant symboliquement le dernier chèque qu'elle leur a donné, les cinq soeurs Verdelaine finissent leur deuil, gagnent en  autonomie, individuellement et collectivement. Enfin, entourées des êtres qui leur sont chers, elles construisent une famille selon leur coeur.


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