Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

jeudi 23 septembre 2010

"De l'autre côté de l'île"

Les Éditions Thierry Magnier ont publié en 2009 ce long roman de l'Américaine Allegra Goodman dont le titre original est "The other side of the island". Les romans d'anticipation destinés aux adolescents soumettent à leur sagacité des histoires où les préoccupations de nos sociétés actuelles occupent le devant de la scène. Dans un monde d'îles et d'eau où la Mère Nourricière, rappel féminin d'un Big Brother, contrôle la nature, le climat et les gens parmi lesquels les récalcitrants ont vu leur mémoire annihilée et leur identité remplacée par un matricule, Honor devient provisoirement orpheline car ses parents, "Partisans" c'est-à-dire résistants à ce monde artificiel et prévisible créé par une matriarche omnipotente, ont "disparu " subitement de la Communauté et sont devenus des agents, êtres déshumanisés par une nourriture et une eau empoisonnées. Cette fausse déesse nourricière maintient les êtres humains dans une dépendance complète.  L'embrigadement des enfants à l'école sur la protection totale qu'elle dispense généreusement, son amour matriarcal absolu, sur l'obsession de la sécurité et de la lutte permanente  contre l'Imprévisible fait écho aux préoccupations de nos sociétés développées, à leur crainte des changements climatiques et au fantasme humain du contrôle de la Nature. Honor, qui porte bien un prénom rare dans cette société et la désigne au lecteur comme un être unique, se libérera de la propagande de la Mère Nourricière pour sauver sa mère transformée en agent, retrouver son père dans la résistance des Partisans et découvrir, dans un rebondissement final, que le Partisan en chef, nommé ironiquement le Météorologue face au pseudo contrôle du temps qu'il fait par la "Big Mother" du récit, travaille au sein de la Communauté, incarné, est-ce un symbole, par la bibliothécaire de l'école. Monde féminin de la connaissance et de la transmission face à une fausse bienveillance maternelle. Le discours officiel  sur la volonté de la Mère Nourricière de contrôler le climat  et toute la nature pour protéger les humains survivants d'une catastrophe planétaire incite à se questionner sur notre attitude  vis-à-vis de la nature. Écologie, environnement, protection des milieux naturels mais aussi acceptation de la nature telle qu'elle est  avec ses dangers reste le message premier de ce roman qui table aussi sur la question de la sécurité (à tout prix ?), la facilité à contrôler l' humain par la peur, à disposer de lui contre sa volonté.  Un brin d'intertextualité (Le secret de Térabithia, par ex.) convainc le jeune lecteur que l'auteur lui parle du monde dans lequel il vit aujourd'hui en évoquant un texte connu de lui. Ce roman de Katherine Paterson permet, parce que la Mère Nourricière  du récit d'Allegra Goodman a ordonné que la tristesse soit abolie et que les êtres  soient maintenus dans une sorte d'enfance éternellement bienheureuse et naïve, de nourrir l'idée qu'il faut affronter la vie telle qu'elle est. À la fin du roman, Térabithia meurt noyée. Honor découvre une fin qu'elle ignorait parce que tronquée et changée par un être omnipotent aux pouvoirs dictatoriaux. Le chagrin, le deuil, la mort existent, il faut les accepter. Il n'est nul besoin d'une Mère Nourricière pour affronter l'existence, il faut se libérer de la fausse protection qui entraîne une vie illusoire. Cette société lénifiante qui édulcore la vie même dans les livres (la bibliothécaire coupe au sens propre du terme les passages tristes des ouvrages dont elle a la charge) infantilise les êtres et leur fait croire que "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes". Parce que séparés brusquement  de parents réfractaires, les orphelins deviennent lucides et cessent de croire à ce monde parfait. L'innocence meurt avec la certitude qu'on est seul au monde. Si Honor seule ne sauve pas les autres, elle participe activement à la révolte préparée par des adultes résistants dont son père. Son lien particulier avec Octavio, le poulpe de l'école auquel elle permet de s'évader et qui la sauve à son tour, symbolise le lien privilégié du personnage orphelin avec la nature, le lien originel et  primordial de l'être humain avec son environnement naturel. Les difficultés de la jeune fille à se libérer de l'embrigadement sécuritaire  de la Mère Nourricière symbolisent la peur ( et le désir à la fois) de l'adolescence à évoluer tout en gardant ses parents,  à devenir autonome tout en restant leur enfant. Le roman d'Allegra Goodman conclut sur la peur humaine du monde tel qu'il est : imprévisible, donc ennemi par essence de toutes les dictatures. Entre outre, deux mythes fondateurs, celui du déluge et celui du jardin édénique, aident l'auteur dans la transmission au jeune lecteur d'un message lucide et positif dans un texte long mais captivant.

Source photographique : Wikimedia commons

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