Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

dimanche 31 octobre 2010

"Papa et Maman sont dans un bateau"

Marie-Aude Murail n'a pas son pareil pour prendre la main du lecteur et lui dire  : "Viens, regardons le monde ensemble ". C'est à cela qu'elle l'invite encore dans son roman Papa et Maman sont dans un bateau paru à L'école des loisirs en 2009 dans la collection Médium  et qui raconte la vie d'une famille ordinaire, les Doinel, aux prises avec l'existence telle qu'elle est en France en ce début de XXIe siècle. Esteban, le fils, est un enfant marginal, doué  et angoissé. Victime de maltraitance à l'école, il a cerné sans le savoir la déshumanisation des rapports entre les membres de la famille, à l'école, dans le monde du travail et sur toute la planète où il ne voit que robots humanoïdes hostiles. Charlie, collégienne, essaie de naviguer entre les amitiés changeantes et superficielles, les amours non moins relatives, la distance qui s'installe entre elle et ses parents, et un rapprochement avec un garçon hors normes. Elle vit dans l'univers de ses mangas, univers décrypté et démystifié avec bonheur et humour par Marie-Aude Murail, MAM pour les fans. Nadine Doinel, enseignante en maternelle, croit en son métier : ses compétences lui valent la grande admiration de son assistante qui comprend d'autant moins les changements soudains chez cette institutrice que gagne un découragement certain. Enfin, Marc Doinel, un modèle de réussite, est parti d'une délinquance juvénile pour devenir chef d'agence d'un transporteur routier. La "boîte" est vendue à une société plus grosse, ce qui entraîne licenciements, restructuration, souffrance et même suicide. Pris entre deux feux, Doinel fait le choix de rester humain et de refuser ce système : en provoquant physiquement le nouveau patron venu "passer le kärcher" dans l'agence, il incarne avec violence la souffrance des êtres broyés par cette non-philosophie du travail et dénonce au nom de l'auteur la déshumanisation de notre société de profit aveugle. Pour sortir ses quatre personnages du piège où ils sont englués, entre violence et pression psychologiques (Nadine Doinel rêve que son inspecteur lui demande de "licencier" un de ses élèves de quatre ans faute de résultats !), MAM recourt au rêve enfantin de la cabane-refuge, au fantasme de vie robinsonne, loin, ailleurs, au coeur de la nature. Ainsi, et sans le savoir, tous les quatre imaginent vivre dans la yourte mongole présentée dans un reportage de la revue "Psychologies" qui traîne au salon. La yourte devient le symbole du cocon familial, d'une vie à la fois aventureuse et sécurisée, humaine, sous la protection de Mère Nature. Soucieuse et curieuse de la jeunesse, MAM observe la société dans laquelle elle vit aujourd'hui. Elle dénonce la déshumanisation des sociétés occidentales actuelles, obsédées par le profit et la consommation au détriment des personnes. Elle offre aussi à la réflexion du lecteur une alternative qui repose sur le respect et l'accueil de l'autre en emmenant ses personnages dans un autre monde, la Mongolie, dont le modèle est transporté (au sens figuré et au sens propre par le biais de camions) en France car Doinel se consacre à l'importation de yourtes depuis qu'il a démissionné. Si le titre indique que les êtres sont "dans un bateau", c'est-à-dire sur un chemin tout tracé et dont on ne peut s'écarter, MAM suggère le contraire dans le texte : le bateau de la vie peut être conduit sous d'autres vents, vers d'autres rivages que ceux que l'on a toujours connus et que les circonstances ont semblé imposer. C'est pourquoi la lecture de ce roman ne s'adresse pas, selon nous, aux seuls adolescents : leurs parents ont tout intérêt à y jeter un oeil.

Source : photographie de Bouette déposée sur Wikimedia commons

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