Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

vendredi 18 juin 2010

"La vie comme elle vient"

Le roman contemporain pour les adolescents semble le digne héritier de la littérature du XIXe siècle : 
... l'important est que la littérature du XIXe siècle  semble la première à découvrir l'existence de l'enfant, le faisant passer du statut de simple signe (de la famille, de la féminité ...) à celui de personnage, notamment avec les figures de l'orphelin ou du galopin (...) puis de sujet psychologique à part entière.
 En effet, Mado est un personnage à l'épaisseur psychologique réelle : Anne-Laure Bondoux, dans un roman intitulé  La vie comme elle vient , raconte son histoire et celle de sa soeur Patty.  Elles deviennent orphelines alors qu'elles sont âgées respectivement de quinze et vingt ans. Un accident de la route leur enlève leurs deux parents sur la route qui mène, en Ardèche, à la maison de vacances familiale : ce détail n'en est pas un. C'est même le symbole de l'atteinte à l'intégrité de la famille, détruite par la mort violente et absurde du couple parental. Mado raconte très sobrement :  
 Il y a neuf mois déjà que l'accident a eu lieu. Il y a neuf mois, c'était le mois d'octobre... Papa et maman avaient décidé de prendre une semaine de vacances, loin de la foule, en dehors des congés scolaires. Ils   sont descendus en Ardèche, dans notre maison de campagne. Sur une petite route en lacet, en pleine descente, les freins ont lâché.
La séparation par la mort est d'autant plus intolérable qu'elle implique trois symboles qui se contredisent : c'est en route vers la maison qui abrite sans doute les moments familiaux liés aux vacances et à de bons souvenirs de vie commune que la mort fauche les parents. Or, le fait même qu'ils aient décidé de partir en dehors des congés scolaires, c'est-à-dire sans leurs filles, revêt un aspect d'annonce du drame final et de l'obligation qu'elles auront de s'en sortir seules. Le récit commence neuf mois après le drame, durée symbolique de la gestation d'un enfant qui semble annoncer la nouvelle vie des deux soeurs. Anne-Laure Bondoux épargne ses deux personnages principaux et du coup, les prive de l'essentiel : seules, elles devront affronter ensemble les bons moments comme les mauvais, se prendre en charge et faire le deuil de leur famille telle que constituée jusqu'à l'accident. Si l'on peut s'étonner de l'âge de la soeur aînée et la considérer a priori comme adulte puisqu'elle devient tutrice de Mado, l'auteur  permet de la voir comme orpheline elle aussi, car immature et irresponsable, incapable de s'occuper de sa soeur ou d'elle-même. L'une devient tout pour l'autre, malgré leur très grande différence de style de vie, de caractère, de degré de maturité. Mado en est bien consciente : 
  Patty est ma frangine, ma tutrice officielle et préférée, ma seule famille, ma bouée de sauvetage.
 Le récit de  La vie comme elle vient  demande à Mado de témoigner de la vie de tous les orphelins privés brutalement de leurs parents mais aussi de faire la preuve que le deuil est possible et que la vie continue. Quel meilleur moyen  de le prouver pour l'auteur que de choisir de provoquer la venue au monde d'un nouveau membre de la famille ? Patty, irresponsable au plus haut point, tombe enceinte d'un garçon qu'elle n'aime pas ; elle cache à sa soeur, non pas la grossesse, mais la date présumée de l'accouchement . Si Patty vit sa grossesse tout en la niant et en essayant de la cacher le plus longtemps possible, Mado s'informe, lit les ouvrages  spécialisés comme si elle attendait cet enfant elle-même. La naissance survient alors que les deux soeurs sont allées passer les vacances d'été dans la maison d'Ardèche, tout près de la route où leurs parents ont trouvé la mort. La grande roue de la vie a tourné mais la venue de ce bébé met en péril la nouvelle existence des deux soeurs : si la  DDASS qui a confié Mado à Patty apprend cette naissance, la plus jeune des soeurs sera placée en foyer alors que paradoxalement, elles tentent d'en recréer un ensemble. Le texte d'Anne-Laure Bondoux, texte réaliste qui met en scène deux filles d'aujourd'hui, l'une serveuse dans un restaurant, frivole, immature et fêtarde, l'autre, sérieuse, anxieuse et réservée qui prépare son brevet, révèle aux lecteurs la force de la jeunesse et surtout l'irrépressible besoin de recréer le foyer perdu ou d'en trouver un autre. Mado se battra jusqu'au bout pour que son neveu, que Patty rejette, abandonne momentanément à sa soeur et qu'elle prénomme  Robinson comme pour souligner sa solitude à venir, ne soit pas orphelin à son tour parce que sa mère est irresponsable et son père ignorant de sa venue au monde. Ce sont donc ces circonstances particulières qui obligent l'adolescente de quinze ans à être responsable de la personne qui est censée être sa tutrice dans une inversion des rôles relativement fréquente dans les histoires d'orphelin : celui-ci protège, accueille, défend plus souvent qu'à son tour.

Bondoux, Anne-Laure,  La vie comme elle vient , Paris, L'école des loisirs, « Médium », 2004.
Hansen, Michel, « L'enfant dans la littérature du XIXe siècle », TDC (Textes et documents pour la classe), n° 514, 12avril 1989, p. 4-9.

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