C'est une "règle non officielle et non écrite" de la bagarre chez les indiens Spokane qui sert de titre français à ce texte lauréat en 2007 du "National book award for young people's litterature" aux États-unis. C'est dire toute l'importance de la lutte, celle, physique, qui régit les relations entre garçons adolescents mais aussi celle que livre tous les jours un peuple contre une destinée qui semble bien écrite d'avance, et par d'autres. L'auteur, Sherman Alexie, raconte son adolescence d'indien moitié Spokane et moitié Coeur d'Alène, dans un roman réaliste, quasi tragique, mais toujours dominé par l'espoir de la tolérance et de l'équité. Ce titre français met en exergue aussi la nécessité de se battre, de serrer les dents pour trouver une place dans le monde autre que celle qui semble être inévitable dès la naissance. Le titre original, lui, insiste d'une part sur la forme du roman, d'autre part sur la question de l'acceptation de sa propre culture et le désir d'appartenir à celle qui domine : "The absolutely true diary of a part-time indian", ou le journal absolument véridique d'un indien par intermittence, si l'on accepte cette traduction maladroite. La narration, écrite donc à la première personne, racontée aussi en "cartoons"qui mêlent dérision, humour et désespoir, raconte l'histoire de l'auteur, adolescent dans une réserve indienne et qui fréquente un lycée de blancs. Hydrocéphale et fortement myope, mais très doué et excellent basketteur, gage d'intégration dans le système éducatif américain, Arnold Junior, d'abord tête de turc de ses camarades, use d'un humour corrosif qu'il retourne d'abord contre lui-même. Il raconte la faim, la pauvreté, la dignité de ses parents et par là-même celle de son peuple, l'alcoolisme qui décime la tribu, les deuils qui s'ensuivent, la lutte d'un peuple pour conserver son identité et sa culture, tout en acceptant celle du blanc dans une tolérance prônée en particulier par la grand-mère de l'auteur-personnage narrateur. À ses préoccupations "classiques" d'adolescent, l'amitié, l'amour, la sexualité, les études et le sport, se superposent pour Junior les difficultés d'intégration sans subir de menace d'oubli de sa propre culture, de sa différence. Son journal, mise en abyme du roman de l'auteur, écriture dans l'écriture, témoigne de la situation des peuples amérindiens, rappelle leur primauté d'existence sur le territoire et force à se souvenir que l'Amérique est habitée "d'étrangers qui ont quitté leur lieu de naissance pour s'en sortir", appelant à la tolérance des étrangers blancs pour les peuples qui les ont accueillis sur ces terres. Dans un rappel du caractère essentiellement nomade des ses ancêtres, Junior quitte la réserve tous les matins pour se rendre dans un lycée de blancs où il fait ses preuves. Il part pour" trouver sa nourriture", rappelant les déplacements vitaux de la tribu , nourriture spirituelle qu'il trouve au lycée de la ville blanche voisine et tout aussi nécessaire que le gibier qui alimentait ses aïeux. Sa situation entre deux cultures est illustrée au sens propre sur la première de couverture par Olivier Balez qui donne à l'ombre du garçon assis près de son journal intime la forme d'un indien en costume traditionnel. Et le témoignage de l'auteur qui a vécu son adolescence au début des années 80 vaut toujours aujourd'hui : Junior communique avec son meilleur ami indien par mails, c'est dire si Sherman Alexie souhaite que ses jeunes lecteurs ne voient pas dans son texte un document historique mais l'image littéraire d'une réalité toujours actuelle de leur monde.
Le premier qui pleure a perdu, Sherman Alexie, Albin Michel, (Wiz), 2008
Source photographie indien Spokane : superstock.com
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