Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

lundi 30 novembre 2009

"Arthur, l'autre légende"


                                                                                                                                                                             Le titre l'indique d'emblée, ce roman de Philip Reeve, paru en 2008, chez Gallimard dans la collection Scripto, réécrit la légende du roi selon un point de vue inhabituel.

Il était une fois ... une jeune esclave, Wynna, qui se retrouve seule après l'incendie et le pillage de son village par un chef de guerre celte, Arthur, accompagné de ses soldats. Nous sommes en 500 environ après JC, dans le sud-ouest de la Bretagne insulaire. Recueilli par le barde Myrrdin, Wynna, d'abord malgré elle, va l'aider à forger la légende du "bon roi Arthur", telle que nous la connaissons aujourd'hui.



Étang du château de Comper : la légende veut que sous cet étang se cache le palais de la fée Viviane (source Wikimédia domaine public).

Moi, c'que j'en dis ...

Non content de réécrire la légende du roi celte, Philip Reeve s'échine à la désacraliser, et d'abord en provoquant des effets de réels. Il situe son texte au VIe siècle après JC, période où effectivement l'on relève la présence d'un "Dux bellorum" nommé Artus, chef de guerre qui aurait repoussé les saxons et unifié les îles britanniques. Belliqueux, pillard, soudard même, il apprécie les femmes, la boisson, la bonne chère... très loin de l'image véhiculée par un Chrétien de Troyes ou un Geoffroy de Monmouth au XIIe siècle, par exemple. L'auteur utilise les noms gallois de personnages que nous connaissons bien : Gwenhyfar pour Guenièvre, épouse convoitée pour le prestige et la puissance de sa lignée, Myrrdin pour Merlin et qui n'a d'enchanteur que son talent oratoire, Cei pour Keu le demi-frère d'Arthur, Bedwyr pour un Lancelot diminué mais amant tragique de l'épouse du chef, Peredur pour un Perceval effectivement élevé comme une fille afin d'éviter d'être envoyé au combat ... Autre ancrage dans le réel, le passage entre une société gallo-romaine qui s'étiole et hésite encore à laisser la place à un haut Moyen Age dur et âpre, qui a choisi le  Christianisme tout en convoquant encore les Dieux celtes.
Si la légende d'Arthur est née et a perduré, c'est aussi, selon P. Reeve, grâce au talent d'un Myrrdin, barde de son état. Dans la société gauloise et celte, le barde est un poète qui célèbre les héros et leurs exploits dans une poésie orale ou chantée. Ici, Myrrdin  renverse la tradition et crée le personnage  d'Arthur de toutes pièces, en chantant des exploits et une personnalité imaginaires, mais qui vont séduire le peuple en mal de merveilleux en ces temps où le Christ ne s'est pas encore imposé et où les Dieux celtes s'effacent lentement. Utilisant Wynna et ses talents de nageuse, Myrddin fait croire à un Arthur mal dégrossi que c'est la fée Viviane en personne qui lui présente Excalibur ( en réalité, une épée ordinaire achetée à un vulgaire marchand ...) en sortant son bras de l'eau. Cette aura merveilleuse soude les celtes autour d'Arthur, éveille un patriotisme breton qui, encore aujourd'hui, utilise la figure d'Arthur comme celle d'un véritable roi de Grande-Bretagne. La stratégie de Myrrdin, conscient qu'un chef celte doit émerger pour repousser les Saxons en particulier, consiste à forger par la magie du verbe et de la poésie la légende d'Arthur afin de convaincre un peuple et de petits chefs disséminés sur le territoire et se faisant perpétuellement la guerre, que seul Arthur, choisi par les anciens Dieux par le biais de Viviane, est apte à unifier les Celtes, quitte à travestir les faits et à les teinter d'un peu de merveilleux. Wynna, qui d'abord désapprouve, continuera l'oeuvre de Myrrdin après sa mort, parce que :
"... tous les hommes aiment les histoires. Une belle histoire qu'ils se rappelleront toute leur vie, qu'ils raconteront à leurs enfants et aux enfants de leurs enfants ... " (p. 31)
Dans cette mise en abyme, l'auteur  redonne sa place universelle et intemporelle  à la légende même s'il la réécrit à sa façon. Son roman est agréable à lire, son approche enthousiasmante. Conscient du besoin de merveilleux des hommes et en particulier de son jeune lecteur, il préserve l'aura du roi Arthur malgré tout. Wynna, qui succède à Myrrdin comme barde, raconte que Bedwyr jette Excalibur à l'eau à la mort d'Arthur et qu'une main surgie du lac récupère l'épée fabuleuse. Et lorsque son auditoire lui demande s'il est vrai, comme le dit toujours la légende, qu'Arthur n'est pas mort et qu'il reviendra, elle ajoute pour le lecteur :
"C'était l'Arthur de Myrrdin qu'ils voulaient. L'Arthur légendaire, le roi le plus sage, le plus juste et le plus généreux qu'on ait vu en ce monde."(p. 362)
En ayant l'air de démystifier le personnage médiéval, Ph. Reeve lui conserve toute son aura et tout son merveilleux, le renforçant même et peut-être pas à son corps défendant.
Reste que, comme d'autres réécritures, ce texte pose la question des références du jeune lecteur, de sa connaissance préalable de la "matière de Bretagne" et du cycle arthurien qui lui permettront de décoder ce texte et d'en goûter complètement la lecture. À moins que dans sa sagesse, la jeunesse n'aille à la découverte du Merveilleux breton médiéval grâce à Ph. Reeve.

On peut lire aussi (entre autres) :

- Le roi Arthur, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, Folio junior 871 (roman jeunesse)
- Arthur, David Chauvel, Jérôme Lereculey, Jean-Luc Simon, Delcourt (bande dessinée, 9 volumes)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'en dites-vous ?