Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mardi 19 janvier 2010

Tous orphelins

"Tout le monde ne peut pas être orphelin." (Poil de Carotte, Jules Renard, 1893)

Dans ce cri du coeur, le jeune François Lepic, surnommé Poil de Carotte, envie la situation des orphelins délivrés par le sort de parents "mal-aimants", voire maltraitants. Lui-même souffre d'une mère cruelle et d'un père lâche ; dans cette terrible situation lui succédera en 1948 un Jean Rezeau, dit Brasse-bouillon, sous la plume d'Hervé Bazin, dans son roman Vipère au poing. Certes, au sens strict, ces héros ne sont pas orphelins. Leurs parents sont vivants, voire à leurs côtés, sous le même toit. Mais être affublés de tels parents permet-il de grandir et de se construire de la même façon que les enfants et/ou adolescents réellement entourés ? Poil de Carotte n'est-il pas d'une certaine façon orphelin lui aussi, contrairement à ce qu'il croit ?
Dans le numéro 132 de la revue Lecture jeune (décembre 2009), Daniel Delbrassine explique que dans le roman réaliste contemporain pour les adolescents, les parents sont présents mais malmenés par la vie : séparés, abandonnants, négligents, maltraitants, en famille monoparentale, malades, sous la domination d'une addiction, et j'en passe. Les héros adolescents trouvent donc de nouveaux rôles dans le roman, se doivent d'être matures, responsables, devant des situations qu'ils ne devraient pas avoir à affronter. Ainsi, je considère qu'ils sont d'une certain façon orphelins, au sens où l'entend  Isabelle Smadja lorsqu'elle dit  que beaucoup  de  romans pour la jeunesse ont  « un point commun, celui de parler de cette période de l'enfance où, symboliquement ou réellement, les parents meurent d'une certaine manière en tant que parents, c'est-à-dire en tant que capables d'assumer la relation de leur enfant au monde adulte."  Être orphelin ne relève donc pas seulement de l'état civil, mais de la qualité des relations parents-enfants ou parents-adolescents. Parce que les gens heureux n'ont pas d'histoire, les romans pour les adolescents regorgent de héros ou héroïnes luttant seuls et pied à pied contre une situation familiale contrariant voire empêchant un développement harmonieux de l'individu. Et pas seulement dans le roman réaliste.

(Source Wikimedia commons)
 Lenain, Thierry, Roman merveilleux contre roman réaliste ? , une interview d'Isabelle Smadja, auteur de l'essai Harry Potter, les raisons d'un succès.

http://www.europeanmediaculture.org/fileadmin/bibliothek/francais/lenain_interview/lenain_interview.html>

samedi 9 janvier 2010

Orphelins Baudelaire

"Si vous aimez les histoires qui finissent bien, vous feriez mieux de choisir un autre livre."
Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, Lemony Snicket, 1999

Incipit tout naturel pour un roman  dont le premier tome s'intitule "Tout commence mal" ! Et habile amorce à destination du lecteur qui sera moins enclin à lâcher l'ouvrage !
L'orphelin est un personnage difficilement "contournable" dans le roman pour la jeunesse. Il porte sur ses épaules toute l'émotion susceptible de happer le jeune lecteur, celle qui pointe d'un doigt douloureux la condition enfantine et la situation la plus cruelle qui soit, grandir sans parents. Lemony Snicket, dans un titre aguicheur, rappelle la filiation littéraire des orphelins depuis le XIXe siècle, de Malot à Dickens, en passant entre autres par Hugo et la Comtesse de Ségur. L'accumulation, dans le titre et l'incipit, de termes négatifs et catastrophistes, renverse cependant la vapeur : non seulement l'on va lire mais on va même trouver dans l'histoire d'orphelins qui cumulent les déveines, une désacralisation du personnage orphelin, une caricature qui frise le grotesque et agit telle une catharsis.
L'incipit invite en outre à méditer sur le devoir ou non de la littérature pour la jeunesse de toujours apporter un message positif aux jeunes lecteurs. L'ironie de Snicket agit comme un baume et l'on se délecte des calamités et autres vêtements qui grattent de Violette, Klaus et Prunille Baudelaire, orphelins.

Peter Pan

"Tous les enfants, sauf un, grandissent."
Peter Pan, Matthew Barrie , 1911

En seulement six mots, tout est dit. Grandir ou ne pas grandir, là est la question. Peter a choisi, au contraire d'Alice qui tergiverse. Garder son enfance intacte et la préserver des adultes, des grands. Rester au Royaume des fées et de l'enchantement de "quand on était petit", credo des auteurs qui écrivent pour les enfants ou part d'eux-mêmes qui se rêve éternelle ?
L'insertion au milieu de la phrase de l'exception qu'est Peter parmi les enfants  renforce cette idée d'unicité de chaque être, de l'expérience douloureuse,  individuelle et universelle de grandir.

(Image Wikimedia commons)