Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

vendredi 1 mai 2015

" Le livre de Perle "



Il est difficile de sortir de la lecture du nouveau roman de Timothée de  Fombelle, et si l'on connaît ses romans d'aventure précédents, les passionnantes histoires de Tobie  Lolness ou de Vango, on ne peut que croiser les doigts pour qu'il ait une très longue vie d'écrivain ...
" Le livre de Perle  "propose plusieurs niveaux de récits où le lecteur déambule comme dans un labyrinthe très bien fléché. Le narrateur, un garçon qui vient de perdre l'amour fabuleux qu 'il a projeté dans une jeune fille croisée seulement 3 fois,  se retrouve chez un homme étrange qui collectionne les valises. Joshua Perle a un secret qu'il va falloir découvrir. Le récit entrelacé va raconter la quête du jeune garçon sur plusieurs années, et en même temps celle du prince Ilian et de son amour pour la fée Olia. Le prince est exilé par le mage Taage dans notre monde réel, celui du 20e siècle, et devient Joshua Perle en usurpant le nom du fils des deux parisiens juifs qui l'ont accueilli après sa traversée d'un monde à l'autre. Joshua-Ilian n'a qu'une voie à suivre, celle qui lui permettra de retrouver " les royaumes " et l'amour de la fée Olia, qui, il ne le sait pas, l'a suivi dans notre monde, après avoir sacrifié, en tous les cas le croit-elle,  ses pouvoirs de fée et son immortalité. Il ne faut pas dévoiler plus loin l'histoire, merveilleuse à plusieurs titres, de Timothée de Fombelle. Mais l'on peut apprécier et mettre en valeur l'exploration du monde merveilleux des contes de fées : pour réintégrer ce monde, le prince Ilian-Joshua  doit collectionner les objets merveilleux des contes que nous connaissons bien et qui font l'objet d'un trafic. Il en remplit des valises entières, bagages fabuleux qui lui permettront de repartir. L'univers des contes, dans ce récit, est présenté comme le lieu d'un passé lointain de l'humanité, de chacun de nous. Joshua retrouve son passé de prince partout dans notre vie et évoque les veillées  de contes qui ramènent les hommes dans ce passé fabuleux, ce monde idéal qui distrait des souffrances de la vie terrestre ordinaire. Conte dans le roman, roman dans le conte :  le narrateur  du"  Livre de Perle " reçoit la mission de raconter l'histoire d'Ilian, d'Olia, de Joshua, de défaire le sort qui les retient prisonniers dans notre monde  et dans une jolie mise en abyme, d'écrire le livre que nous tenons entre nos mains. Le motif du passage d'un monde à l'autre, du réel au merveilleux et retour, a déjà été illustré : des Chroniques de Narnia qui en font leur procédé principal pour chacun de leurs épisodes, à La croisée des mondes, en passant par Alice au pays des merveilles ou Peter Pan pour ne citer que deux textes classiques précurseurs, le changement de monde propose au jeune héros un voyage initiatique qui emmène le lecteur dans son propre parcours, un parcours de développement personnel et un parcours de lecteur. Le narrateur ne dit-il pas page 285 du roman : " Les histoires nous inventent " ? et la citation de James Barrie, le père de Peter Pan, clôt en beauté le roman de T.  de Fombelle lorsqu'elle dit : " Chaque fois que quelqu'un dit " Je ne crois pas aux contes de fées ", il y a une petite fée quelque part qui tombe raide morte ". C'est notre foi ancestrale et universelle dans un monde merveilleux, parallèle au nôtre et qui de temps en temps nous rend visite par la grâce de la littérature pour les enfants, qui nous fait aller de l'avant, persuadés que la beauté existe. 

Le livre de Perle, Timothée de Fombelle, Gallimard , 2014

Image : article " Le petit Poucet" , fr.wikipedia.org

Cet article est dédié à Névine et à son amour des fées. Elle a tout compris. 

" Charlotte "

C'est sur le ton de la confidence que David Foenkinos raconte l'histoire de Charlotte Salomon dans son roman " Charlotte " publié en 2014 chez Gallimard. Si nous en parlons ici, c'est parce qu'il est lauréat du prix Goncourt des Lycéens 2014, et qu'il est toujours intéressant de voir ce qui a pu toucher le lectorat des élèves de seconde qui participent à ce prix et qui ainsi plébiscitent un texte d'ailleurs souvent différent du celui du lauréat du prix Goncourt  tout court. On ne peut qu'être touché évidemment par l'histoire, tragique à plusieurs égards, de Charlotte Salomon, jeune berlinoise juive qui voit sa jeunesse et son grand talent de peintre fauchés par la barbarie du nazisme. Mais c'est surtout la rencontre de l'écrivain avec  le  personnage réel de son texte que le récit veut mettre en relief. A partir de la découverte d'un être dans sa singularité, de son histoire et des lieux de sa vie retrouvés et visités que le romancier expose la genèse du texte, sa lente maturation et ses " retrouvailles " avec un personnage qui ré-existe sur le papier. Concomitamment, et dans une longue litanie de phrases coutes qui font un dessin sur chaque page, Foenkinos raconte Charlotte et sa propre expérience d'auteur, l'écriture de son livre. C'est peut-être aussi cet aspect-là de l’œuvre qui a touché les jeunes lecteurs électeurs du Prix, à côté du thème de la jeunesse et de l'art broyés par l'Histoire, de la singularité qui plie devant le destin collectif.

Autoportrait de Charlotte Salomon ; Wikiledias commons