Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mercredi 5 août 2015

" Broadway limited .Un dîner avec Cary Grant "

Le nouveau roman de Malika Ferdjoukh est tellement enthousiasmant qu'on ne sait par où commencer pour en parler bien et surtout convaincre de se jeter dessus, toutes affaires cessantes ... 582 pages de pur bonheur, à Manhattan, après la Seconde guerre mondiale. Jocelyn Brouillard, jeune parisien de 17 ans , arrive à New York où une école de musique réputée lui ouvre ses portes à l'aide d'une bourse. Nous sommes en 1948 et un ami lui a conseillé de se rendre dans une petite pension nommée " Giboulée " . mais "damned !", cette maison ne reçoit que des filles !! Jocelyn va amadouer par ses talents de pianiste le " dragon ", Artemisia, vieille dame indigne et propriétaire de la pension avec sa soeur Céleste Merle. Il séduit aussi toutes les pensionnaires du lieu, et nous allons découvrir avec lui la vie tourbillonnante de ces demoiselles dont chacune a un lourd secret ... 
Si l'on retrouve le rythme et l'humour de l'écriture de Malika Ferdjoukh, on savoure aussi tout le travail de documentation qu'elle a pu faire pour écrire ce premier tome  de Broadway limited. Grâce à elle, on voyage dans le temps vers un New York plein de vie et en particulier plein de vie artistique : théâtre, cinéma et musique remplissent l'histoire de cette flopée de protagonistes. Jocelyn est vite embauché comme pianiste de revue, en marge de ses études de musicologie, et les filles de la pension sont toutes qui danseuse, qui chanteuse, qui comédienne. De petits boulots les aident à survivre en attendant la gloire, qui sait ? ... Sont évoqués les acteurs, réalisateurs et musiciens de l'époque, on assiste au développement du cinéma, des revues et à l'essor de la musique jazz en croisant Grace Kelly, James Stewart, Clark Gable et le futur Woody Allen encore adolescent, entre autres. L'histoire n'est pas en reste puisque Jocelyn (dit "Jo", à l'américaine) tombe amoureux d’une jeune activiste qui soutient les artistes de tous genres accusés de collusion avec le communisme ... La condition féminine de cet après-guerre à New York est aussi l'un des thèmes du roman. Jo, de son côté, apporte une touche européenne et les souvenirs de la France occupée. Il découvre l'Amérique, sa musique, ses fêtes bizarres ( Halloween et Thanksgiving), sa gastronomie (il pense que la pizza et le coca-cola feront un tabac en France !!), ses traditions sociales et les rites qui marquent les relations garçons-filles. Ajoutez, à la vie de la pension, les chagrins des unes et des autres, deux chats philosophes, un chien patibulaire, deux domestiques très maternelles, des voisins attachants et vous retrouverez tout le charme des histoires de Malika Ferdjoukh qui a le don, aussi, de tisser patiemment des liens entre des personnages apparemment éloignés, l'air de dire que l'Amérique, c'est petit ! On retrouvera, à la lecture de ce premier tome (vivement le deuxième !!) tout le plaisir de lecture ressenti avec les différents volumes de la vie des "Quatre sœurs" Verdelaine, édités eux aussi à L'école des loisirs. Je parie, à l'instar des demoiselles de la pension Giboulée, " Un dîner avec Cary Grant " que cette lecture ne vous laissera pas indifférents ...


Broadway Limited. Un dîner avec Cary Grant ; Malika Ferdjoukh, L'école des loisirs, 2015.

Image : Manhattan sur Wikimedia Commons

dimanche 2 août 2015

" Angel, l'indien blanc "

Tous les ingrédients du bon roman d'aventures sont utilisés par François Place dans son récit " Angel, l'indien blanc " paru chez Casterman en 2014.  Et il se trouve que ce sont des ingrédients auxquels il est fidèle dans ses autres titres : le voyage, l'exploration, la nature, la rencontre de peuples différents ... Angel le bien nommé est né d'une Française enlevée par des indiens d'Amérique du sud qui l'ont arrachée à la propriété argentine du maître espagnol qui lui a confié l'éducation de ses enfants. Élevé comme un indien, le métis est recruté comme matelot sur un bateau qui part en expédition vers le sud découvrir les Terres australes. Après l'échouage du Neptune et avec le savant vénitien Corvadoro qui, malgré les apparences, le prend sous son aile, Angel va passer plusieurs mois parmi les Woanoas, peuple de la banquise antarctique. Il va peu à peu être assimilé à leur société, et surtout initié à leur monde  imaginaire par le biais des forces de l'esprit en connexion constante avec la nature. De son duel avec le roi noir, grand phoque qui défend les siens lors des grandes chasses dont dépend la vie des Woanoas, à sa relation symbiotique avec Leuk, la réincarnation en goéland d'un de ses compagnons Woanoas, Angel, dont le prénom évoque les cieux et l'esprit de la Nature, termine son aventure à Venise où Corvadoro l'emmène. C'est là qu'il prend conscience de la lutte entre la recherche scientifique et la superstition, les tentatives d'explication et de connaissance du monde par les savants et l'attrait de la société dite civilisée pour les récits fabuleux. Le savant Sigogné de Chauvry, participant du voyage mais n'ayant de connaissance des Woanoas que ce qu'en ont raconté Angel et Corvadoro, s'empresse, de retour, de raconter à Versailles qu'il a retrouvé l'Atlantide mythique et que la cité entière est prisonnière des glaces. Cette " escroquerie géographique " (p. 216) permet à l'auteur d'éloigner la menace " civilisée " d'expéditions destructrices, de militer pour la protection des milieux et des peuples, et surtout de laisser la plus grande place aux forces de l'imaginaire et de l'esprit qui unissent Homme et Nature dans son roman. Ce texte n'est pas sans rappeler le très beau récit qu'il commit quelques  années plus tôt et qui emmenait un scientifique à la recherche des " Derniers géants ". C''est ici aussi la protection d'un  "paradis perdu  " qu'il faut assurer. 

"Angel, l'indien blanc ", François Place, Casterman, 2014 

Image : wikimedia commons

jeudi 23 juillet 2015

" Adam et Thomas "

Plus qu'un roman pour la jeunesse, c'est une véritable fable philosophique que Valérie Zenatti traduit de l'hébreu : traductrice d'Aharon Appelfeld pour ses textes destinés aux adultes, elle sert ici son récit adressé à la jeunesse " Adam et Thomas " ,  publié par L'école des loisirs en 2014 et magnifiquement illustré par Philippe Dumas. A la fin de la Seconde guerre mondiale, dans un pays de l'est non nommé, les mamans d'Adam et Thomas les confient à la forêt où ils doivent attendre qu'elles reviennent les chercher. Elles espèrent ainsi éviter qu'ils ne soient raflés avec les autres habitants du ghetto. La forêt les abrite, elle devient nourricière, protectrice, c'est l'image du paradis perdu originel. Ces deux petits Robinsons vont apprivoiser la forêt, qu'Adam connaît bien, et vont y attendre la fin de la guerre, puisque les Rouges arrivent et vont les délivrer. Leur sagesse enfantine, leur foi (en Dieu, en leurs parents, en l'autre) permettent qu'ils gardent une sorte d'angélisme salvateur, une confiance en la Nature et dans le Merveilleux, en particulier pour Adam qui considère toute aide comme venue du ciel ou d'un ange. Ainsi perçoit-il Mina, petite fille cachée dans une ferme, maltraitée, et qui les nourrit régulièrement en déposant au pied d'un arbre quelque nourriture. Les enfants représentent deux conceptions du judaïsme opposées, l'une traditionaliste, l'autre moderne et pragmatique mais l'auteur s'assure en permanence, à travers leurs épreuves, de dire au lecteur que les deux vues se tolèrent, voire se complètent. Sauvés par la forêt, les deux enfants deviennent salvateurs à leur tour et soignent des hommes blessés, réfugiés momentanément dans la forêt. Leur surprise à trouver des enfants autonomes sous les bois confirme l'image de communion de l'enfance avec la Nature, d'une innocence quasi biblique. La fable, elle, s'organise autour des notions d'apprentissage de la vie (Robinson et Walden réunis ? ), de la notion de devoir (les enfants risquent d'être pris lorsqu'ils soignent un fuyard blessé), des notions de providence et d'humanité. Il faut enfin constater que le titre original hébreu signifie " Une fille venue d'un autre monde " et semble désigner la petite Mina, l'ange qui nourrit les deux garçons dans la forêt, et qui, battue par le fermier qui la cache, est soignée par les soldats  de l'armée rouge pour lesquels aussi elle incarne littéralement un ange. Le texte la transfigure littéralement . C'est sur ce personnage que l'auteur s'appuie pour poser la question essentielle du texte : Dieu protège-t-il l'humanité ou celle-ci a-t-elle la capacité, comme les deux garçons, de trouver elle-même son  salut ? Ce roman, écrit dans un style particulièrement simple, a la beauté d'une histoire universelle et ancienne ; c'est peut-être pour cela que la revue " Lire " l'a désigné comme meilleur texte pour la jeunesse de l'année.

Adam et Thomas, Aharon Appelfeld, L'école des loisirs, 2014. 

Image : wikimedia commons

vendredi 1 mai 2015

" Le livre de Perle "



Il est difficile de sortir de la lecture du nouveau roman de Timothée de  Fombelle, et si l'on connaît ses romans d'aventure précédents, les passionnantes histoires de Tobie  Lolness ou de Vango, on ne peut que croiser les doigts pour qu'il ait une très longue vie d'écrivain ...
" Le livre de Perle  "propose plusieurs niveaux de récits où le lecteur déambule comme dans un labyrinthe très bien fléché. Le narrateur, un garçon qui vient de perdre l'amour fabuleux qu 'il a projeté dans une jeune fille croisée seulement 3 fois,  se retrouve chez un homme étrange qui collectionne les valises. Joshua Perle a un secret qu'il va falloir découvrir. Le récit entrelacé va raconter la quête du jeune garçon sur plusieurs années, et en même temps celle du prince Ilian et de son amour pour la fée Olia. Le prince est exilé par le mage Taage dans notre monde réel, celui du 20e siècle, et devient Joshua Perle en usurpant le nom du fils des deux parisiens juifs qui l'ont accueilli après sa traversée d'un monde à l'autre. Joshua-Ilian n'a qu'une voie à suivre, celle qui lui permettra de retrouver " les royaumes " et l'amour de la fée Olia, qui, il ne le sait pas, l'a suivi dans notre monde, après avoir sacrifié, en tous les cas le croit-elle,  ses pouvoirs de fée et son immortalité. Il ne faut pas dévoiler plus loin l'histoire, merveilleuse à plusieurs titres, de Timothée de Fombelle. Mais l'on peut apprécier et mettre en valeur l'exploration du monde merveilleux des contes de fées : pour réintégrer ce monde, le prince Ilian-Joshua  doit collectionner les objets merveilleux des contes que nous connaissons bien et qui font l'objet d'un trafic. Il en remplit des valises entières, bagages fabuleux qui lui permettront de repartir. L'univers des contes, dans ce récit, est présenté comme le lieu d'un passé lointain de l'humanité, de chacun de nous. Joshua retrouve son passé de prince partout dans notre vie et évoque les veillées  de contes qui ramènent les hommes dans ce passé fabuleux, ce monde idéal qui distrait des souffrances de la vie terrestre ordinaire. Conte dans le roman, roman dans le conte :  le narrateur  du"  Livre de Perle " reçoit la mission de raconter l'histoire d'Ilian, d'Olia, de Joshua, de défaire le sort qui les retient prisonniers dans notre monde  et dans une jolie mise en abyme, d'écrire le livre que nous tenons entre nos mains. Le motif du passage d'un monde à l'autre, du réel au merveilleux et retour, a déjà été illustré : des Chroniques de Narnia qui en font leur procédé principal pour chacun de leurs épisodes, à La croisée des mondes, en passant par Alice au pays des merveilles ou Peter Pan pour ne citer que deux textes classiques précurseurs, le changement de monde propose au jeune héros un voyage initiatique qui emmène le lecteur dans son propre parcours, un parcours de développement personnel et un parcours de lecteur. Le narrateur ne dit-il pas page 285 du roman : " Les histoires nous inventent " ? et la citation de James Barrie, le père de Peter Pan, clôt en beauté le roman de T.  de Fombelle lorsqu'elle dit : " Chaque fois que quelqu'un dit " Je ne crois pas aux contes de fées ", il y a une petite fée quelque part qui tombe raide morte ". C'est notre foi ancestrale et universelle dans un monde merveilleux, parallèle au nôtre et qui de temps en temps nous rend visite par la grâce de la littérature pour les enfants, qui nous fait aller de l'avant, persuadés que la beauté existe. 

Le livre de Perle, Timothée de Fombelle, Gallimard , 2014

Image : article " Le petit Poucet" , fr.wikipedia.org

Cet article est dédié à Névine et à son amour des fées. Elle a tout compris. 

" Charlotte "

C'est sur le ton de la confidence que David Foenkinos raconte l'histoire de Charlotte Salomon dans son roman " Charlotte " publié en 2014 chez Gallimard. Si nous en parlons ici, c'est parce qu'il est lauréat du prix Goncourt des Lycéens 2014, et qu'il est toujours intéressant de voir ce qui a pu toucher le lectorat des élèves de seconde qui participent à ce prix et qui ainsi plébiscitent un texte d'ailleurs souvent différent du celui du lauréat du prix Goncourt  tout court. On ne peut qu'être touché évidemment par l'histoire, tragique à plusieurs égards, de Charlotte Salomon, jeune berlinoise juive qui voit sa jeunesse et son grand talent de peintre fauchés par la barbarie du nazisme. Mais c'est surtout la rencontre de l'écrivain avec  le  personnage réel de son texte que le récit veut mettre en relief. A partir de la découverte d'un être dans sa singularité, de son histoire et des lieux de sa vie retrouvés et visités que le romancier expose la genèse du texte, sa lente maturation et ses " retrouvailles " avec un personnage qui ré-existe sur le papier. Concomitamment, et dans une longue litanie de phrases coutes qui font un dessin sur chaque page, Foenkinos raconte Charlotte et sa propre expérience d'auteur, l'écriture de son livre. C'est peut-être aussi cet aspect-là de l’œuvre qui a touché les jeunes lecteurs électeurs du Prix, à côté du thème de la jeunesse et de l'art broyés par l'Histoire, de la singularité qui plie devant le destin collectif.

Autoportrait de Charlotte Salomon ; Wikiledias commons