Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mercredi 26 novembre 2014

" Calpurnia "

C'est un roman très riche et passionnant à lire que propose Jacqueline Kelly en 2013, sous le titre original américain " The Evolution of Calpurnia Tate ". Édité en France la même année par l'Ecole des loisirs sous le titre " Calpurnia ", le roman nous entraine dans le Texas du 19e siècle, celui des petits propriétaires de plantations de coton et des petites bourgades du sud dans lesquelles les Noirs sont encore des citoyens de seconde zone, la fin de l'esclavage n'étant pas très ancienne alors. Comme souvent, le titre original du texte apporte des précisions par rapport à sa version française. Le terme " évolution", s'il désigne la transformation au fil de plusieurs mois de la jeune héroïne Calpurnia, donne un indice au lecteur sur la préoccupation principale de la jeune fille qui découvre les travaux de Darwin sur l'évolution des  espèces. Le titre américain joue donc double jeu.
En cette année 1899, Calpurnia Virginia Tate a onze ans et est la seule fille d'une fratrie de 8 enfants. Sa destinée prévoit qu'elle apprenne à broder et cuisiner correctement, le ménage et autres corvées
moins nobles étant réservées aux employées noires qu'elle ne manquera pas d'avoir lorsque sa mère aura arrangé le meilleur des mariages pour sa fille unique. Or, Calpurnia ne voit pas les choses du même œil. Passionnée de botanique, de zoologie et d'entomologie, elle passe des heures passionnées dans la nature autour de la maison. A la grande surprise du reste de la famille, elle fait la conquête d'un grand-père bourru qui n'apparaît qu’aux repas communs et s'enferme des heures dans son bureau-bibliothèque ou son laboratoire. Avec lui, elle découvre une nouvelle plante et recevra les félicitations de l'Académie des sciences.  A la veille du nouveau siècle, Calpurnia prend conscience de la condition des Noirs, des femmes et des filles dont le destin ne prévoit pas qu'ils dérogent à l'ordre établi. La science et les progrès technologiques ( le grand-père est fasciné par la première automobile qui arrive dans la petite ville) semblent une porte vers la liberté et la connaissance. Calpurnia scandalise la bibliothécaire locale lorsqu'elle lui demande l'ouvrage de Charles Darwin sur l'évolution des espèces, livre qui a fait grand bruit et dont son grand-père lui a confié l'importance. Au centre de la toile familiale, Calpurnia impose à sa mère de la regarder autrement et d'accepter qu'elle ait un autre destin que le sien. Elle tisse avec ses frères des relations quasi d'égal à égal et apporte à son grand-père, qui désespérait de ses petits-fils, la preuve que les filles peuvent aussi avoir une activité intellectuelle et s'émanciper par la connaissance et l'étude. Calpurnia, c'est décidé, sera un grand savant. Et elle a raison lorsqu'elle dit à propos des ses amies d'école : " Je n’avais jamais pensé que mon avenir serait le même que le leur  (p. 273)" . Comme un encouragement à l'acceptation de sa différence, Calpurnia découvre la neige au matin du premier janvier 1900, signe immaculé d'un nouveau départ.  Son grand-père a joué, ce qui est fréquent dans le roman jeunesse, son rôle de passeur. A elle de défendre la science et la connaissance, et de prouver que la tête des filles est aussi bien faite que celle des garçons au début d'un siècle où de grandes scientifiques accompliront leur œuvre personnelle.

Calpurnia, Jacqueline Kelly, l'Ecole des loisirs, 2013

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