Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mercredi 8 décembre 2010

"On s'est juste embrassés"

C'est parce qu'elle connaît bien les adolescents et surtout leurs difficultés qu'Isabelle Pandazopoulos a pu écrire "On s'est juste embrassés"publié chez Gallimard, dans la collection Scripto, en 2009, avec une réelle justesse de ton. Pour son héroïne, Aïcha, les difficultés sont de trois ordres et tout d'abord psychologiques. Abandonnée par un père qui fuit, lorsqu'elle a huit ans, une vie qu'il juge décevante, Aïcha vit avec sa mère Saïda, seule, renfermée sur elle-même et dont elle ne sait presque rien tant le silence s'est installé entre elles. La jeune fille rencontre aussi des difficultés d'origine socio-culturelle : elle sait qu'elle est d'origine algérienne, que ses grand-parents sont venus à Paris 80 ans plus tôt faire leur vie et fonder une famille. Mais elle ne sait rien d'eux, d'où la soif de connaître ses origines, son identité. N'obtenant pas de réponse à ses questions, elle s'invente un passé, une famille, bref un roman personnel digne des théories d'une Marthe Robert. Sur cette quête d'elle-même pèse un lourd secret de famille qui aggrave ses relations avec sa mère mais provoquera le retour au père. À ces épreuves s'ajoutent celles que connaissent les beurettes des cités, ces jeunes filles sur le comportement desquelles repose tout l'honneur de la  famille, surveillées par un père ou un frère qui n'hésitent pas à frapper ou bannir s'ils considèrent cet honneur entaché et ce dans le silence résigné des mères, tantes ou soeurs qui subissent un sort similaire si elles soutiennent les jeune filles en question. Le texte d'Isabelle Pandazopoulos est simple, précis, usant d'un langage courant qui exprime les choses directement, sans emphase. Les phrases courtes ou composées de plusieurs propositions indépendantes accumulées et séparées par des virgules donnent au roman un aspect de reportage documentaire : le lecteur découpe la scène et la vit en même temps. Les relations entre hommes et femmes dans la société maghrébine musulmane, la vie dans les cités et la violence faite aux filles, la question de l'honneur réglée par les coups ou l'abandon, la difficulté de vivre avec des origines étrangères dans un pays différent où la femme a une place autre, la quête de l'identité et la recherche du père sont au coeur de ce roman qui se lit d'une traite. Isabelle Pandazopoulos confirme, par sa connaissance de la jeune fille actuelle et de ses difficultés particulières, le rôle de témoin de l'auteur qui s'adresse sciemment au lectorat adolescent. L'écrivain démontre aussi que les problèmes des jeunes d'aujourd'hui ne concernent pas seulement les rapports entre filles et garçons, même si la construction de l'identité sexuelle et les relations avec l'autre sexe nourrissent également le récit avec la question cruciale de la famille et celle de la place du jeune dans la société. Le roman d'Isabelle Pandazopoulos promène un miroir le long des bâtiments de la cité, de nos cités, miroir qui renvoie aux jeunes lecteurs de multiples reflets d'eux-mêmes et des jeunes qui les entourent au quotidien, ces jeunes qui appartiennent à deux cultures mais à aucune vraiment.

On s'est juste embrassés, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard jeunesse, Scripto, 2009.
Source photographique : Cité des Côtes d'Authy déposée par Al sur Wikimedia commons.

samedi 4 décembre 2010

"Récit d'une mort annoncée"

Dans la ligne d'un Robert Cormier et de sa "Guerre des chocolats", Anthony Mc Gowan reprend le thème de la violence scolaire dans son roman paru en 2008 chez Random House à Londres et en 2009 chez Milan, dans la collection Macadam, à Toulouse. Le titre original 'The knife that killed me" insiste plus sur le thème de la violence allant jusqu'au meurtre et sur l'arme du crime, alors que sa traduction française "Récit d'une mort annoncée" donne la forme du récit, long flashback raconté par le narrateur, Paul, lycéen dont on attend la mort violente qu'il annonce lui-même. Ce récit analeptique est entrecoupé de pauses où Paul raconte la bataille rangée entre deux bandes rivales de deux lycées voisins dont les écoliers sont adversaires depuis plusieurs décennies : le père de Paul a lui-même participé à l'une de ces rencontres féroces et exhorte son fils à ne pas l'imiter. Dans un monde scolaire où tous les coups sont permis et où les pacifistes sont méprisés, où les enseignants et les parents sont écartés par une loi du silence absolument respectée, les élèves, filles et garçons, vivent dans une tension permanente, due à la férocité de certains d'entre eux adeptes de la persécution et du sadisme. Paul décrit les actes et les sentiments des différents protagonistes, mais surtout sa lente descente aux enfers provoquée par de mauvais choix et une image de lui-même erronée.La fin du roman, à laquelle on ne s'attend pas, pointe la véritable cruauté, la férocité de la violence et joue sur les différents types de mort, réelle ou figurée. Le texte s'appuie aussi sur deux sortes de héros adolescents, ange ou démon, aux prises avec eux-mêmes et face à face. Le pessimisme est ici de mise dans la peinture d'une jeunesse désenchantée. Vision quasi manichéenne : l'ange a péri, le démon a survécu, le mal règne sans partage. 

Photographie " Ange ou démon" de Mansour de Toth, déposée sur Wikimedia commons

"La jeune fille rebelle"

C'est à Anvers et en néerlandais que paraît en 2009 le roman de Jean-Claude Van Rickeghen et Pat Van Beirs, "Jonkvrouw". Pour les éditions Mijade en Belgique, Jean-Philippe Bottin et Anne Roggle en proposent la traduction française sous le titre "La jeune fille rebelle". Ce titre français ajoute une notion supplémentaire au néerlandais qui se contente du terme "Demoiselle" (jonkvrouw) et propose au lecteur de découvrir l'histoire d'une jeune fille dont le caractère et le comportement sont d'emblée donnés et lui font attendre un certain type de récit. Ce roman historique se situe dans la Flandre du XIVe siècle, dans la région de Bruges et de Gand, pendant la Guerre de Cent ans qui oppose sporadiquement Anglais, Français et leurs alliés respectifs. Dans un premier chapitre remarquable, la narratrice raconte sa propre naissance. Le titre du chapitre est clair : le père du nouveau-né attend  un garçon, on sait donc que l'enfant sera une fille et que l'intrigue entière découle de cette malédiction pour un Comte du XIVe siècle qui attend un héritier d'autant plus que les 3 naissances suivantes donnent des garçons morts-nés et que la Comtesse en perd la tête. La "jeune fille rebelle" va donc passer les quelques années que suit le déroulement du récit à, à la fois, résister à un père qui la rejette et veut la marier à qui bon lui semble, et à le conquérir en tant que fille, que véritable et digne  héritière du Comté de Flandre. Le texte de 282 pages a toutes les qualités d'un roman d'aventures historiques : chevauchées, batailles, vie d'un château médiéval, activités des villes de Bruges et de Gand hautes en couleurs. Le récit à la première personne présente une sorte de chronique rédigée par Marguerite de Male, future Comtesse de Flandres dont le nom de famille présage de sa capacité, comme un homme, à assumer la destinée  d'un territoire. Outre la condition des filles de la Noblesse, leur éducation, leur vie affective, le roman donne un tableau précis de la vie flamande au XIVe siècle, des relations du Comte avec les deux grandes puissances en guerre et avec le pape qui surveille les alliances entre les  Grands de ce monde. Et le terme de tableau vaut aussi pour toutes les qualités de ce texte qui joue à l'envi avec les cinq sens : le lecteur profite des images visuelles, sonores, olfactives, tactiles, auditives et gustatives riches et nombreuses qui lui font goûter ce XIVe siècle comme dans un tableau flamand. Bruits et clameurs du château et des villes drapières, chants religieux et poésie profane, paysages d'hiver ou d'été, décor de château, des villes de Bruges et Gand, des forêts et des champs cultivés, des chapelles isolées, parfums du gibier cuisiné, des douceurs aux épices lointaines, du vin et du miel, lumière du nord, chatoiement et douceur du velours et des brocarts, tout enchante la lecture et redonne vie à la Flandre dont la peinture précise doit beaucoup ici aux activités de scénariste, journaliste-reporter et producteur de films des deux auteurs. Pour toutes ces raisons l'on peut engager le jeune lecteur, mais pas seulement, à découvrir ce roman historique où l'Histoire de la Flandre du XIVe siècle sert d'écrin à l'histoire de Marguerite, jeune fille rebelle, franche et conquérante, qui saura captiver aussi par son courage et son obstination à vivre la vie qu'elle souhaite quels que soient les obstacles, à commencer par l'absence de sa mère et le rejet de son père.
Source iconographique : "Portrait de jeune femme", Sandro Botticelli, 1480
http://www.grandspeintres.com