Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

dimanche 31 octobre 2010

"Papa et Maman sont dans un bateau"

Marie-Aude Murail n'a pas son pareil pour prendre la main du lecteur et lui dire  : "Viens, regardons le monde ensemble ". C'est à cela qu'elle l'invite encore dans son roman Papa et Maman sont dans un bateau paru à L'école des loisirs en 2009 dans la collection Médium  et qui raconte la vie d'une famille ordinaire, les Doinel, aux prises avec l'existence telle qu'elle est en France en ce début de XXIe siècle. Esteban, le fils, est un enfant marginal, doué  et angoissé. Victime de maltraitance à l'école, il a cerné sans le savoir la déshumanisation des rapports entre les membres de la famille, à l'école, dans le monde du travail et sur toute la planète où il ne voit que robots humanoïdes hostiles. Charlie, collégienne, essaie de naviguer entre les amitiés changeantes et superficielles, les amours non moins relatives, la distance qui s'installe entre elle et ses parents, et un rapprochement avec un garçon hors normes. Elle vit dans l'univers de ses mangas, univers décrypté et démystifié avec bonheur et humour par Marie-Aude Murail, MAM pour les fans. Nadine Doinel, enseignante en maternelle, croit en son métier : ses compétences lui valent la grande admiration de son assistante qui comprend d'autant moins les changements soudains chez cette institutrice que gagne un découragement certain. Enfin, Marc Doinel, un modèle de réussite, est parti d'une délinquance juvénile pour devenir chef d'agence d'un transporteur routier. La "boîte" est vendue à une société plus grosse, ce qui entraîne licenciements, restructuration, souffrance et même suicide. Pris entre deux feux, Doinel fait le choix de rester humain et de refuser ce système : en provoquant physiquement le nouveau patron venu "passer le kärcher" dans l'agence, il incarne avec violence la souffrance des êtres broyés par cette non-philosophie du travail et dénonce au nom de l'auteur la déshumanisation de notre société de profit aveugle. Pour sortir ses quatre personnages du piège où ils sont englués, entre violence et pression psychologiques (Nadine Doinel rêve que son inspecteur lui demande de "licencier" un de ses élèves de quatre ans faute de résultats !), MAM recourt au rêve enfantin de la cabane-refuge, au fantasme de vie robinsonne, loin, ailleurs, au coeur de la nature. Ainsi, et sans le savoir, tous les quatre imaginent vivre dans la yourte mongole présentée dans un reportage de la revue "Psychologies" qui traîne au salon. La yourte devient le symbole du cocon familial, d'une vie à la fois aventureuse et sécurisée, humaine, sous la protection de Mère Nature. Soucieuse et curieuse de la jeunesse, MAM observe la société dans laquelle elle vit aujourd'hui. Elle dénonce la déshumanisation des sociétés occidentales actuelles, obsédées par le profit et la consommation au détriment des personnes. Elle offre aussi à la réflexion du lecteur une alternative qui repose sur le respect et l'accueil de l'autre en emmenant ses personnages dans un autre monde, la Mongolie, dont le modèle est transporté (au sens figuré et au sens propre par le biais de camions) en France car Doinel se consacre à l'importation de yourtes depuis qu'il a démissionné. Si le titre indique que les êtres sont "dans un bateau", c'est-à-dire sur un chemin tout tracé et dont on ne peut s'écarter, MAM suggère le contraire dans le texte : le bateau de la vie peut être conduit sous d'autres vents, vers d'autres rivages que ceux que l'on a toujours connus et que les circonstances ont semblé imposer. C'est pourquoi la lecture de ce roman ne s'adresse pas, selon nous, aux seuls adolescents : leurs parents ont tout intérêt à y jeter un oeil.

Source : photographie de Bouette déposée sur Wikimedia commons

vendredi 29 octobre 2010

Harry et Compagnie

Si vous avez bien suivi mes diverses réflexions sur l'orphelin dans le roman pour la jeunesse, vous avez constaté que nous n'avons jusqu'ici rencontré que des orphelines, les unes dans des textes réalistes, une autre dans un roman fantastique coloré d'enquête sur le passé et de secrets de famille, une autre encore dans un roman historique et policier à la fois situé à la Cour d'Élisabeth première pour suivre Maia finalement dans sa nouvelle vie au Brésil. Or, il est un garçon à lunettes, toujours mal coiffé, qui défraie la chronique littéraire depuis la fin des années quatre-vingt dix et pas seulement parce qu'il fait du sport sur un balai, utilise une baguette magique et partage sa vie avec une chouette blanche. Harry Potter, britannique, est sans doute l'orphelin littéraire le plus connu de la planète, rejoignant ses compatriotes David Copperfield et Olivier Twist nés eux aussi dans le pays de sa Très Gracieuse Majesté, mais plus d'un siècle et demi avant lui. Le succès est rapide pour le premier tome paru en France en 1998. Benoît Virole explique l'engouement des enfants pour le jeune sorcier dans un article paru dans la revue spécialisée Lecture jeune : « Ce succès initial est un fait d'observation. (…) Il est bien issu d'une rencontre entre une oeuvre originale, authentique dans l'impulsion de sa créativité, et un lectorat pour la plupart novice en matière de littérature ». Le roman de Joanne Kathleen Rowling semble ainsi perpétuer une tradition qui raconte la condition enfantine même si les aventures de Harry se déroulent en grande partie dans un monde merveilleux. Le premier tome de ses aventures qui en remplissent sept présente le jeune garçon et le début de son histoire : il a juste un an au moment où nous le rencontrons pour la première fois. L'incipit pourtant ne s'intéresse pas à lui de façon directe mais fait un portrait de son oncle Vernon, de sa tante Pétunia et de son cousin Dudley. Cet incipit révèle d'ailleurs toute la distance qu'il existera entre Harry et ce qu'il faudra bien appeler sa famille :
Mr et Mrs Dursley, qui habitaient au 4, Privet Drive, avaient toujours affirmé avec la plus grande fierté qu'ils étaient parfaitement normaux , merci pour eux. Jamais quiconque n'aurait imaginé qu'ils puissent se trouver impliqués dans quoi que ce soit d'étrange ou de mystérieux. Ils n'avaient pas de temps à perdre avec des sornettes.
Si ce début de récit installe à la fois une future atmosphère mystérieuse et étrange justement, celle du monde des sorciers annoncé par le titre, il évoque aussi toute la force que mettent les Dursley à se considérer comme des gens normaux. Mrs Dursley va même jusqu'à nier l'existence de sa soeur Lily Potter, la mère de Harry. C'est pourtant dans leur petite vie mesquine que le sort et surtout un terrible mage noir vont catapulter Harry à la fois pour sa sauvegarde et son malheur. Albus Dumbledore, grand magicien s'il en est et directeur de l'école de sorcellerie de Poudlard, avec l'aide du professeur Mc Gonagall et de Rubéus Hagrid, garde-chasse, recueillent Harry après le meurtre de ses parents par Lord Voldemort auquel ils ne voulaient pas se rallier. Parce qu'il est protégé par l'amour de sa mère, Harry non seulement survit à l'attaque mais semble avoir anéanti les pouvoirs du sorcier maléfique ; c'est en tous les cas ce qu'explique le professeur Mc Gonagall :
« … On dit qu'il a essayé de tuer Harry, le fils des Potter. Mais il en a été incapable. Il n'a pas réussi à à supprimer ce bambin. Personne ne sait pourquoi ni comment, mais tout le monde raconte que lorsqu'il a essayé de tuer Harry Potter sans y parvenir, le pouvoir de Lord Voldemort s'est brisé, pour ainsi dire-et c'est pour ça qu'il a ... disparu. »
Harry est donc orphelin « grâce à » ou «  à cause de » sa mère, si l'on peut dire : si l'amour maternel ne l'avait pas sauvé, Voldemort l'aurait éliminé lui aussi. Il n'aurait pas connu dix années de maltraitance dans le foyer de son oncle Vernon, ni les brimades perpétuelles de Dudley, ni le mépris de Pétunia, ce à quoi Albus Dumbledore ne s'attendait sans doute pas en le leur confiant. Orphelin parce qu'il survit à l'assassinat qui emporte ses parents, il connaît une nouvelle naissance ou une renaissance en se défendant bien malgré lui contre le mage noir. Cette deuxième naissance est un miracle pour tout le monde sorcier qui fête l'événement pendant que Rubéus Hagrid, semi-géant et première figure paternelle de substitution (dans l'ordre d'apparition) auprès de Harry, l'emmène au 4, Privet drive. Le titre de ce premier chapitre le désigne fort justement comme le « survivant » et indique aussi son caractère exceptionnel. Parce que le monde des sorciers ne peut être sûr que Voldemort a totalement été anéanti, Albus Dumbledore se doit de protéger l'enfant en le confiant à sa famille « moldue », c'est-à-dire humainement ordinaire , sans aucun pouvoir magique :
-« Je suis venu confier Harry à sa tante et à son oncle. C'est la seule famille qui lui reste désormais. » 
 Ce contre quoi Minerva Mc Gonagall s'insurge aussitôt, mettant en relief le caractère unique de l'orphelin :
« … Dumbledore, vous ne pouvez pas faire une chose pareille ! Je les ai observés toute la journée. On ne peut imaginer des gens plus différents de nous. … Harry Potter vivre ici ! »
La véritable famille de Harry, celle qui lui apportera affection, réconfort, force et courage, sera celle des sorciers qui avait déjà accueilli sa mère, fille de moldus mais excellente sorcière. Dix années auront passé, dans un simulacre de foyer où l'oncle Vernon, la tante Pétunia n'ont de cesse de nier sinon l'existence de Harry du moins sa véritable identité à la recherche de laquelle il passera sept années entières. À onze ans, Harry sera en âge d'entrer à Poudlard, la fameuse école de sorciers. C'est encore Hagrid qui le mènera à ce nouveau foyer : Vernon ayant fui par tous les moyens les lettres de Poudlard qui arrivent par centaines pour convoquer Harry à sa première rentrée à Poudlard, Hagrid est obligé de venir chercher l'enfant sur l'île où Dursley a cru pouvoir trouver un refuge définitif. À sa très grande et très courroucée stupéfaction, le bon géant découvre « l'entreprise de démolition » ou plutôt de non construction de l'identité de Harry par sa « famille » :
« Vous n'allez pas me dire, rugit Hagrid, que ce garçon- ce garçon !- ne sait rien sur RIEN ? »
 Et un peu plus loin :
« Je voulais dire que tu ne sais rien de notre monde, de ton monde. De mon monde. Du monde de tes parents. »
Véritablement révolté à l'idée que Harry ne connaisse rien de ses origines et ait vécu dix ans en croyant à un accident de voiture mortel pour James et Lily Potter, Hagrid dévoile au lecteur la véritable maltraitance subie par l'orphelin, bien plus douloureuse que le fait de dormir dans un placard sous l'escalier, de ne pas toujours manger à sa faim ou de porter les vieilles nippes de son cousin : ne pas avoir la mémoire de ses origines, de l'histoire de sa famille, donc de ne pas avoir les moyens de construire son identité.
« Tu ne sais même pas qui tu es ? » dit-il enfin.
Cette interrogation d'un Hagrid à la fois abasourdi et triste résume la situation psychologique de tous les orphelins et fait de Harry leur archétype : l'orphelin doit non seulement continuer à vivre après avoir perdu ses deux parents, commencer ou continuer à construire son identité malgré le chagrin, le manque de repères et l'absence maternelle et paternelle. Le comble est dans le cas de Harry que le monde auquel il appartient réellement connaît son nom et son histoire depuis dix ans. Dans une mise en abyme, devenue célèbre et maintes fois mentionnée , du début du roman, Minerva Mc Gonagall confirme l'aspect paradoxal de cet état de fait :
«  Il va devenir célèbre-une véritable légende vivante-, je ne serais pas étonnée que la date d'aujourd'hui devienne dans l'avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants de notre monde connaîtront son nom ! »
En écho, et scandalisé, Hagrid relève aussi le caractère incroyable de la situation :
« Harry Potter ne connaît même pas sa propre histoire, alors que dans notre monde, tous les enfants connaissent son nom ! »
La répétition du terme « enfants » accentue le caractère sensible de la situation de Harry, de l'enfant au sens général, de créature faible, à protéger. Harry construira donc son identité, en découvrant au fil des sept volumes que Joanne Kathleen Rowling lui a consacrés, l'histoire de ses parents mêlée à celle des sorciers qui les entourent depuis leur jeunesse passée à Poudlard. C'est dans cette école, sise dans un château au décor gothique, que Harry trouvera son véritable foyer. Grâce au Choixpeau magique qui sonde leurs désirs et voit leur destinée, chaque élève de première année entre, pour les sept années de sa scolarité, sept années d'initiation et pas seulement à l'art de la magie, dans une « maison », terme symbolique à la double acception qui confirme les paroles de bienvenue du professeur Mc Gonagall :
« Vous devez savoir, en effet, que tout au long de votre séjour à l'école, votre maison sera pour vous comme une seconde famille. »
La salle commune où les étudiants sorciers de chaque « maison » peuvent se retrouver symbolise ce foyer retrouvé, d'autant plus qu'un feu est souvent allumé dans l'âtre de la cheminée, rappelant métaphoriquement aux enfants la chaleur affective de la maison familiale ou leur permettant, comme à Harry, d'en trouver l'équivalent. À l'encontre de ses deux meilleurs amis, qui ne sont pas orphelins, Harry n'a pour seul véritable foyer que le château de Poudlard. Hermione Granger, jeune sorcière brillante, est fille de moldus dentistes et bienveillants envers le monde des sorciers : ils tirent une réelle fierté d'avoir une fille sorcière, ce en quoi ils s'opposent aux Dursley qui nient la véritable nature de Harry, en ont honte comme ils avaient honte, et sans doute peur, de James et Lily Potter. Ron Weasley, de son côté, est issu d'une famille nombreuse de sorciers, simples, généreux malgré leur situation économique faible et qui ne tarderont pas à considérer Harry comme leur fils. Ron et Hermione, même s'ils sont heureux à Poudlard, ont un véritable foyer avec leurs parents, leurs frères et soeurs. Lorsqu'arrive Noël dans ce premier récit, Harry et Ron restent à Poudlard, l'un parce qu'il a enfin l'occasion d'éviter un moment pénible chez les Dursley, l'autre parce que ses parents vont en Roumanie rendre visite à leur fils aîné. Cette fête par essence familiale sera cette année-là un moment de pur bonheur pour Harry : il reçoit des cadeaux sans doute pour la première fois de sa vie, un pull de laine tricoté très « maternellement » par madame Weasley, des friandises offertes par Hermione, un présent de Hagrid. Mais le cadeau le plus symbolique, une cape d'invisibilité, lui est transmis de manière anonyme au nom de son père. Noël revêt donc quand même pour Harry un caractère familial lié à l'héritage paternel, à la famille, aux liens qui commencent à se tisser malgré la mort et l'absence. Grâce à cette cape qui le rend invisible et lui permettra de résoudre l'énigme de la pierre philosophale, noeud de ce premier tome, Harry devient paradoxalement « visible », c'est-à-dire doté d'une identité, d'un passé qu'il commence à connaître et à « apprivoiser », d'une mémoire familiale qui se construit peu à peu. Il se dévoile doté également d'un statut de sorcier en apprentissage, apprentissage qui ira de pair avec son évolution psychologique d'adolescent et de jeune adulte auquel le sort a confié la mission de détruire à jamais les forces du mal incarnées par Lord Voldemort. À la fin du cycle de ses aventures, Harry aura découvert qui il est et assumera son identité, à l'instar de tous les orphelins littéraires, alors que dans ce premier tome, il hésite encore à l'endosser lorsque les jumeaux Fred et Georges Weasley l'interrogent dans le train qui les emmènent à Poudlard :
« Si, c'est sûrement lui, dit le premier jumeau. C'est bien çà ? ajouta-t-il à l'adresse de Harry. 
Quoi ? demanda celui-ci.
 Harry Potter, dirent en choeur les deux frères.
Oui, oui, c'est lui, répondit Harry. Enfin, je veux dire … c'est moi. »
Harry, à l'instar de tous les orphelins privés de leur parents par décès, démontre la difficulté à se construire tout autant qu'à se connaître et à s'accepter. Comme pour les orphelines entrevues jusqu'ici dans ce blog, la quête du foyer reste la quête essentielle aussi pour le jeune sorcier et il semble l'avoir trouvé :
Il se sentait beaucoup mieux au château qu'à Privet drive, c'était là désormais que se trouvait son vrai foyer.
Ce foyer sera un foyer de transition pour le futur jeune homme qui en fondera un autre avec Ginny Weasley : il lui faudra d'abord aller au bout de sa mission, défaire définitivement Lord Voldemort dans un combat qui le libérera de la douleur d'être orphelin et favorisera la résilience du traumatisme initial, réhabilitera la mémoire familiale et vengera l'injustice faite à James et Lily Potter, c'est-à-dire au monde sorcier dans son entier. Dans son mémoire de Malije consacré à Harry Potter en 2003, Marie-Hélène Trobas témoigne des propos d'un groupe de psychiatres américains qui, dès 2001 et selon le journaliste Michel Moutot qui les rapporte, estiment que « l'oeuvre de J.K Rowling permet aux jeunes lecteurs de s'identifier à un personnage positif, qui prend le contrôle de sa vie par ses propres moyens ». C'est aussi le cas des orphelines que nous avons rencontrées avant lui dans ces pages : les unes et les autres, seules ou au coeur d'une fratrie, accompagnées d'un substitut parental ou non, prennent leur sort en main, opposent à la solitude et à l'absence résolution, volonté, esprit d'initiative, force de caractère pour construire leur identité, retrouver un foyer ou en créer un, telles Clara-Camille ou Maïa qui retrouvent un foyer à l'autre bout du monde, les quatre soeurs Verdelaine qui remplissent leur maison d'amitiés et d'amours pour combler le vide laissé par leurs parents décédés.
Après avoir lu et analysé ces quelques romans parus en France pour les adolescents, force est de constater que les auteurs présentent une image particulière de l'orphelin. La souffrance du deuil des deux parents disparus est ouvertement exprimée dans les textes, parfois de façon indirecte par un personnage tiers mais en des termes clairs. Le caractère absurde du décès prématuré des parents et son aspect violent dû à la technologie, dans tous les cas, hormis dans celui de Lady Grace Cavendish et de Harry Potter (quoique le mensonge servi par ses oncle et tante soit aussi d'une mort par banal accident mécanique) donne une forte ampleur à la souffrance de l'orphelin et à l'impuissance de son entourage à l'adoucir. La blessure et la douleur engendrée sont similaires pour chaque personnage orphelin rencontré jusqu'ici, quelle que soit sa situation financière et matérielle. Malgré les biens à elle légués, Clara-Camille, dans son pensionnat de luxe, souffre autant que Harry dans son placard, ou que chacune des soeurs Verdelaine, rapidement sans le sou ; si Malika Ferdjoukh consacre un tome à chacune, c'est sans doute aussi pour mettre en relief sa solitude et son chagrin bien réels malgré la présence et la chaleur affective de la fratrie. L'âge ne fait rien non plus à une quelconque gradation de la souffrance : Mado et Patty respectivement âgées de quinze et vingt ans se retrouvent aussi désemparées que Mélaine qui n'avait qu'un an lors de la disparition de ses parents ou que les soeurs Verdelaine âgées de huit à vingt ans lors du décès des leurs. L'obsession du foyer pour chacun d'entre eux n'a d'égal que l'importance de la maison, du foyer : Harry élira Poudlard comme nouveau foyer, Clara-Camille choisit la Californie et ira même jusqu'à symboliquement participer à la construction de maisons en bois sous la houlette de son hôte Jérémiah, architecte au sens propre et au sens figuré puisqu'il « rebâtit » une famille pour la petite-fille de la française qu'il a aimée jadis en la personne de la grand-mère de Clara-Camille. La Vill'hervé est la maison de toutes les joies et de tous les chagrins, importante au point que Charlie ne la quitte pas pour fonder un nouveau foyer avec Basile et que les cinq filles Verdelaine, au lieu de s'en éloigner, attirent au contraire leurs amis et leurs amours dans la maison familiale, y recréent la famille de leur coeur sans se séparer. Mélaine sauve son héritage des mains de parents indélicats et conserve ainsi le manoir familial. La quête de la maison, du foyer lutte avec le sentiment d'abandon et de solitude inhérents à la situation d' « orphelinage », pour reprendre l'expression d'Ole Wehner Rasmussen. Elle induit aussi le besoin de connaître ses racines et de conserver ou de retrouver la mémoire des siens, de sa famille, mémoire qui aidera à construire son identité comme le prouve l'histoire de Harry Potter qui se construit au fur et à mesure qu'il apprend l'histoire de ses parents. L'absence d'affection parentale, affection qui se communique aussi et paradoxalement dans l'opposition aux parents au moment de l'adolescence en particulier, la rivalité avec les frères ou soeurs qui perd de sa force par manque d'arbitrage des parents créent un manque psychologique important et rendent l'orphelin invisible à lui-même comme Mélaine qui dit n'exister pour personne ou comme Harry qui se nourrit du regard de ses parents lorsqu'il découvre le miroir du Riséd dans le deuxième tome de ses aventures. Le thème du regard porté sur soi est vital pour l'orphelin et rappelle l'importance du regard de la mère sur le nouveau-né et son développement affectif. Mélaine revit grâce à ses deux tantes photographes qui la regardent vraiment, Harry voit et surtout est vu par ses parents grâce à la magie du miroir, Mado a besoin du regard de Patty et réciproquement, Malika Ferdjoukh nous donne à « voir » les soeurs Verdelaine par le regard de l'une d'entre elles dans chaque tome de sa quadrilogie, c'est lors de sa première représentation théâtrale d'ailleurs que Bettina « regarde » vraiment sa soeur Hortense, enfin c'est sous le regard bienveillant de mademoiselle Minton que Maia choisira le Brésil pour nouvelle patrie, pour nouveau foyer. Invisible à ses parents, l'orphelin devient visible par la narration et par le double regard du narrateur et du lecteur. Les différents textes que nous avons pu lire ici dressent cependant le portrait d'orphelins révélant tous une force de caractère particulière : doué d'un élan vital proportionnel au manque affectif et au vide laissé par les parents, l'orphelin ne se laisse pas abattre et aborde l'existence avec pugnacité et optimisme, que ce soit dans le quotidien de la vie bretonne des soeurs Verdelaine ou le destin brésilien et exotique de Maia, quoique l'état d'orphelin apporte forcément un côté extraordinaire aussi aux soeurs Verdelaine, comme à tous leurs compagnons littéraires. La force de l'orphelin qui a perdu père et mère dans notre corpus réside dans l'espoir qui le dispute toujours au chagrin : même l'apparente résignation de Mélaine qui admet être laissée pour compte depuis des années par sa grand-mère n'arrive pas à cacher sa capacité à espérer une vie meilleure. Preuve en est la rapidité avec laquelle elle s'adapte au nouveau style de vie, gai et coloré, que lui proposent ses tantes photographes et la pugnacité qu'elle révèle dans la reconquête de la maison et du passé familiaux.
Pour la reprise en main de leur destinée d'enfant seuls, les orphelins bénéficient d'armes spécifiques. La première est la liberté, aspect positif de la solitude et de l'absence des parents. Liberté de mouvement, de pensée, d'émotions non contenues, et liberté d'agir que les enfants et adolescents dotés de parents bien présents ne peuvent goûter. Les parents de Clara-Camille l'auraient-ils laissé partir pour la Californie, seule chez un monsieur d'un âge certain et entouré de jeunes gens en rupture avec la société que Jérémiah essaie de remettre sur de bons rails ? Maia aurait-elle eu tout loisir d'aider Finn à fuir son terrible grand-père et de se cacher avec lui dans la jungle brésilienne ? Mélaine aurait-elle pu se battre quasiment au sens physique du terme contre la partie la moins recommandable de sa famille qui n'hésite pas à tuer quiconque la gène ou à persécuter la grand-tante Mélanie devenue folle de chagrin ? James et Lily Potter auraient-ils laissé leur petit garçon Harry affronter dès l'âge de onze ans le terrible Voldemort ? On peut en douter fortement et c'est parce que les différents substituts parentaux qui entourent les orphelins ont plus de distance avec eux que les parents réels, et ce malgré leur sincère affection, que les orphelins peuvent faire montre de leurs qualités quasi adultes de courage, de sens des responsabilités et d'opiniâtreté en toute liberté. Nous en trouvons un exemple frappant dans le premier tome des aventures de Harry Potter : la figure substitutive du père la plus importante est celle qu' « incarne » le professeur Albus Dumbledore, grand magicien s'il en est et directeur de l'école de Poudlard. Malgré le haut degré de protection dont il entoure Harry dès le décès de ses parents, il lui met la bride sur le coup et le laisse affronter diverses épreuves seul ou quasiment, lui permettant d'acquérir l'autonomie dont il aura besoin pour résoudre le traumatisme initial en luttant contre Voldemort puis en l'anéantissant. Isabelle Smadja exprime clairement les relations qui unissent Harry et Dumbledore dans son ouvrage Harry Potter, les raisons d'un succès. Du grand sorcier à la barbe blanche « tout à la fois complice, ami, confident et protecteur » de Harry sur lequel il veille personnellement au point qu'il ne risque rien de Voldemort s'ils restent à proximité l'un de l'autre, Isabelle Smadja dit « qu'on ne sent pas en lui la résistance d'un père lorsqu'il s'agit de laisser l'enfant devenir grand et acquérir son autonomie ». Il en va de même pour la Reine Élisabeth première qui se comporte comme une deuxième mère pour Lady Grace Cavendish mais la laisse affronter un meurtrier au coeur même de la Cour et lui confie des charges de « détective » royal à la fin du premier volume de ses aventures. Charlie Verdelaine, tout à la fois père et mère substitutifs pour ses quatre soeurs, et malgré un solide sens de la responsabilité qui pèse sur ses épaules, permet à Geneviève, Bettina, Hortense et Énid de vivre à leur guise et d'affronter leur chagrin mais aussi les nouvelles expériences inhérentes à leur âge. Mademoiselle Minton permet à Maia de vivre quelques mois auprès de son ami Finn dans la jungle brésilienne et pas seulement parce qu'il est le fils d'un homme qu'elle a sans doute profondément aimé. La distance qu'instaure son statut de gouvernante, donc de mère secondaire, l'autorise à laisser sa protégée décider de la voie qu'elle doit suivre pour achever son deuil et commencer une nouvelle vie, persuadée que Maia est une enfant exceptionnelle, destinée à une existence exceptionnelle, exprimant ainsi l'aspect universel du personnage orphelin.

Charles Dickens publie Les aventures d'Olivier Twist en 1838, en 3 volumes, et commence la publication mensuelle de L'histoire, les Aventures et l'expérience personnelles de David Copperfield le jeune en 1849.

Virole, Benoît, , La leçon d'Harry Potter, Lecture jeune, décembre 2005, p. 26-30.

Rowling, J.K., Harry Potter à l'école des sorciers [Harry Potter and the philosopher's stone, 1997], traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Éditions Gallimard, « Folio junior », 1998.

Trobas, Marie-Hélène, Harry Potter mérite-t-il son succès ? Analyse d'une oeuvre qui pourrait transformer la perception de la littérature de jeunesse, rédigé sous la direction de madame Laïli Dor, Université du Maine, 2003, non paginé.

Wehner Rasmussen Ole, Enquête sur les origines et la spécificité de la littérature pour enfants, in Revue romane, 1983, p. 18,

Rowling, J.K, Harry Potter et la chambre des secrets, [Harry Potter and the chamber of secrets, 1998], traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Éditions Gallimard, « Folio junior », 1999.

Smadja, Isabelle, Harry Potter, les raisons d'un succès, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 89.


Source photographique : Léa sur myspace.com