Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

mercredi 20 septembre 2017

Lectures d'été 2017 (2)



Deuxième partie de nos lectures estivales de romans jeunesse. Avec " Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare " , de Silvana Gandolfi, nous entrons dans un texte onirique, basé sur la relation particulière, dans la ville de Venise, entre une grand-mère, sa petite-fille, et la vieillesse. Entre les deux héroïnes, une troisième, la fille de l'une qui est aussi la mère de l'autre. Et sous les coups de la maladie d'Alzheimer, la métamorphose de la grand-mère en tortue d'Aldabra, une île  lointaine, où la petite-fille va réussir à transporter sa grand-mère avec la complicité de sa mère, qui a renoué avec la sienne. Une histoire d'amour filial  qui tente d’éloigner la peur du vieillissement et  de la maladie, et la menace d'une implacable incommunicabilité.

Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare, Silvana gandolfi, (Les grandes personnes), 2014 

En ces temps de commémoration et de centenaire, voici deux romans publiés en 2016, sur la Première guerre mondiale. Tout d'abord celui de Michael Morpurgo, qui n'en est pas à son coup d'essai.  Dans " Un aigle dans la neige ", ce fabuleux narrateur passe la main à Barney, un gamin londonien qui fuit les bombardements de 1940 avec sa mère et va se réfugier à la campagne. Coincés dans un tunnel,  ils vont écouter le passager qui partage leur compartiment et qui va leur raconter une histoire incroyable inspirée de la vie d'un soldat exceptionnel de la Première guerre, Henry Tandey, dont Morpurgo nous parle d'abord dans une préface.

De son côté, Philippe Nessmann s'inspire aussi d'un personnage réel dans " La fée de Verdun ". Il y raconte, grâce à un jeune étudiant narrateur, l'histoire d'une cantatrice de la Belle Époque devenue infirmière sur le front, Nelly Martyl, dont on peut lire la vie sur Internet.

Deux romans qui vont chercher dans la petite histoire de quoi évoquer la grande, principal atout du roman historique et réussite remarquable dans le roman jeunesse : enseigner l'histoire sans en avoir l'air, grâce à un travail d'historien au service de la fiction, travail repris dans une habile mise en abîme par le personnage narrateur de Philippe Nessmann qui fait des recherches sur Nelly Martyl pour sa grand-mère laquelle,  enfant,  a vu la chanteuse s'effondrer devant elle dans le rue et qui veut savoir ce qu'elle est devenue. Deux lectures à savourer et qui font marcher à merveille le processus d'identification à un personnage réel et fictif à la fois.

Un aigle dans la neige, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, 2016
La fée de Verdun, Philippe Nessmann, Flammarion jeunesse, 2016

Lectures d'été 2017 (1)

Après une longue absence sur ces pages, voici quelques lignes sur nos lectures d'été qui débutent avec le roman historique de Sharon E. McKay "Esther". Un long texte dédié à la liberté où sont sous-jacents la condition féminine, la condition enfantine, la condition domestique, la judéité et l’aventure. Esther Brandeau, jeune juive du pays basque, a réellement existé. Et c'est sur les documents qui attestent de sa vie entre La France et la Nouvelle-France ( le Québec du 18e siècle) que l'auteure base sa fiction. Ce texte très riche (les sujets de société sont nombreux) se déroule à un rythme qui entraîne la lecture facilement. Le héros est une héroïne qui se travestit pour accéder à la liberté , qui démontre le même, sinon un plus grand courage que maints garçons, celui de ne pas renoncer à sa foi ni trahir les enseignements de ses parents. La figure de la mère, plurielle, tantôt aimante, tantôt cruelle et fourbe, colore le chemin d'Esther. Tout comme Esther dans la Bible qui a caché sa judéité à son époux perse, Esther Brandeau finit, quand on veut la convertir au catholicisme pour lui sauver la vie et lui permettre de rester en Nouvelle-France, par affirmer sa foi et reprendre son errance à la recherche de son ami ( amoureux ?) Philippe, parti s'installer en Louisiane. Elle a quitté saint-Esprit, dans la région de Bayonne, car son père veut la marier de force, et prend, dans sa fuite,  plusieurs identités pour conserver sa dignité, sa foi et sa liberté. Elle lutte conter toutes les manipulations avec instinct, courage et intelligence, reste elle-même, ayant toujours à l'esprit les paroles de sagesse de ses parents juifs. Fresque catastrophique de la France sous Louis XV où les pauvres souffrent de la faim et leurs enfants de maltraitance, le texte annonce la déferlante de liberté que demandera le peuple français quelques 50 ans plus tard, cette liberté qui s'installe déjà dans les colonies d'outre-atlantique où les femmes peuvent vivre seules et pratiquer le métier qu'elles souhaitent, mais à condition d'être catholiques et exclusivement catholiques. La fin du texte est ouvert. Esther repart et l'auteur laisse le soin à un personnage secondaire d' écrire dans une lettre adressée au lecteur qu'Esther s'est sans doute dirigée vers la Louisiane, à nouveau vêtue comme un garçon. Libre à nous de penser qu'elle a retrouvé Philippe.

Esther, Sharon McKay, L'Ecole des loisirs, 2016

C'est un texte fort et pourtant si simple qu'Anne-Marie Pol propose avec " Un tigre dans le jardin" chez Pocket jeunesse.  Une histoire d'enfance lointaine, dans l'Indochine des années 1930, une enfance exotique et fort triste. C'est Paule qui raconte : la douleur de la perte d'un grand frère et l'inconsolable chagrin de la mère, une petite sœur qui va disparaître aussi sous les assauts de la rougeole, et le décès de la mère lors d'un accouchement qui laisse une nouvelle petite fille orpheline avec Paule et leur frère Pierre. Comment tenir dans cet océan de douleur ? En imaginant la présence bienfaisante d'un tigre dans le jardin, un animal fort qui la protège de la tristesse et surveille le jardin pour Paule. Une présence qu'elle cache à tous, et qu'elle emmène avec elle lorsque son père décide de rentrer en France et de quitter l'Indochine où il ne peut vivre sans sa femme. Deux mondes qui s'achèvent, celui de l'enfance pour Paule, celui de l'expatriation pour son père, la fin d'un paradis pour les deux.

Un tigre dans le jardin, Anne-Marie Pol, Pocket jeunesse, 2017

Courir, c'est le maître mot de deux romans bien différents et dont les héros sont des garçons. Dans " Aussi loin que possible", d'Eric Pessan, Tony et Antoine, pour des raisons différentes mais dans la même souffrance, posent un matin leur sac de collège dans un buisson et partent en courant. Sur des centaines de kilomètres, ils vont parcourir une partie de la France allant de squats en larcins pour se nourrir. Une fuite éperdue de la violence du père pour l'un et d'une menace d'expulsion hors de France pour l'autre et sa famille. Ils imaginent une fin à leur cavale, et donc au roman, qui surprend le lecteur et le fait sourire sur les ressources de ces deux ados.

Élisabeth Laird, de son côté, fait courir Salomon en Éthiopie : courir pour aller à l'école chaque jour, courir pour aller chercher du secours, courir pour succéder à son grand-père, grand coureur lui-même, qui lui passe plusieurs relais et l'aide ainsi au moment de mourir, à entrer dans la course d'une vie d'homme parmi les plus glorieuses.

Aussi loin que possible, Eric Pessan, L'Ecole des loisirs, 2015 
Le garçon qui courait plus vite que ses rêves, Elisabeth Laird, Flammarion Tribal, 2016