Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

samedi 20 février 2016

Première Guerre mondiale

Centenaire oblige, les auteurs de roman jeunesse ont beaucoup écrit sur La Grande Guerre . En 2014 et 2015 sont parus en France, entre autres, 6 titres dont un recueil de nouvelles que nous associerons à 5 romans dans ce post. Et nous commencerons par présenter ce recueil de récits basés sur un objet de la Première guerre mondiale. Dans La grande guerre, 11 auteurs, dont Michael Morpurgo, John Boyne, Timothée de Fombelle ou David Almond, auteurs  majeurs de la littérature jeunesse, ont chacun écrit une histoire autour d'un objet emblématique du conflit. Sur le front ou à l'arrière, au début du 20e siècle ou aujourd'hui,l’objet en question (casque Brodie, affiche de recrutement irlandaise, partition de musique, ou assiette à beurre ...) dénonce les millions de vie disparues ou bouleversées par la guerre, et les raconte. Le désaccord entre deux frères, l'un militariste, l'autre pacifiste, qui s'affrontent aujourd'hui, au moment du Centenaire, un bout de bombe enfoncée depuis des lustres dans le tronc d'un arbre, jetée d'un Zeppelin sur Londres et qui ravive des souffrances à la veille de la Seconde guerre,  l'entrée en guerre de l'Irlande aux côté de sa vieille ennemie l'Angleterre, la partition d'un musicien de jazz américain parti sur le front en Europe en 1917, le sacrifice d'une jeune fille irlandaise qui s'occupe de son frère traumatisé et renonce à ses études pour prendre la place dans la maisonnée de sa mère disparue, un jeune garçon qui donne le petit soldat  symbole de son  père disparu et quitte ainsi son enfance ... autant de destins chamboulés par le conflit, par l'absurdité du monde.

De son côté, après avoir déjà écrit de magnifiques textes sur 14-18, Michael Morpurgo récidive en 2015, avec Le mystère de Lucy Lost, une jeune américaine naufragée du Lusitania en avril 1915, et  recueillie par une famille sur une île anglaise dans l'archipel des Scilly cher à l'auteur. Amnésique, elle devient un mystère pour tous les habitants de l’île qui la prennent pour une Allemande car elle on l'a trouvée avec une couverture portant le nom du Kaiser et parce qu'elle ne parle pas ... Dans ce texte, Morpurgo renoue avec certains thèmes : le lien enfant-animal qui offre une sorte de thérapie à Lucy par le biais d'un magnifique cheval, le lien particulier et secret entre des enfants, le thème de l'éducation et de la tolérance, les deuils et les traumatismes psychologiques.

Paul Doswell, de son côté, écrit au cœur du conflit l'histoire de trois jeunes garçons  un Allemand, un Américain d'origine allemande et un Anglais, dans un ouvrage intitulé 11novembre. C'est à la fin du conflit que les trois garçons de moins de 20 ans s'engagent, se croisent  se battent, meurent ou survivent le tout dernier jour de la guerre. Un narrateur extérieur nous donne à voir les peurs, les espoirs, les doutes et les affres communs de la jeunesse sacrifiée dans ce conflit extrêmement meurtrier.

C'est une tout autre ambiance que Pascal Vatinel propose avec La dernière course, l'histoire, inspirée de faits réels, d'un groupe de 400 chiens de traineau transportés d'Alaska pour aider les troupes alliées sur le front des Vosges.  Le héros est une héroïne, une jeune québécoise, musher aguerrie, orpheline, qui affronte de nombreux dangers pour l'amour de ses chiens, de ses amis, pour assumer sa mission sous un déguisement de soldat et pour être digne de l'homme qui l' a élevée en Alaska. Le roman de Pascal Vatinel a le souffle des textes de Jack London auquel on ne peut s'empêcher de penser, le sens des grands espaces, l'amour de la nature et la capacité à la glorifier.

John Boyne, quant à lui, propose un texte très sensible qui raconte, dans Mon père est parti à la guerre, les quatre années d'attente  fiévreuse d'Alfie, petit garçon anglais dont le papa s'est engagé le lendemain de son 5e anniversaire, le laissant seul avec sa mère et sa grand-mère, ainsi qu'avec  son meilleur ami objecteur de conscience. La guerre vue de loin par un enfant  qui soutient sa mère en travaillant en cachette, la situation des objecteurs de conscience emprisonnés, le travail des femmes, le début de l'évolution de la condition féminine et la difficile reconnaissance des traumatismes psychologiques graves des hommes à leur retour sont les thèmes principaux de l'auteur dans ce très beau roman.

Enfin, La vie au bout des doigts d'Orianne Charpentier clôt cette suite de textes tout aussi prenants les uns que les autres car ils proposent une vision de la guerre différente de la plupart des autres, et racontent les conséquences de la guerre sur les civils, les familles, les amis, la solidarité, l’incompréhension devant l'absurdité de ce conflit.  Le texte d'Orianne Charpentier se lit d’une traite malgré ses 405 pages. Elle brosse tout à la fois l'histoire d'une jeune fille singulière à plusieurs titres et le paysage du siècle naissant dont elle rappelle le fourmillement de découvertes scientifiques et artistiques, la rationalité triomphante et la vie plus ou moins secrète de gens doués du don de guérisseur ou de vision qu'elle fait s'opposer dans certains passages à la médecine qui se veut moderne et à la recherche psychanalytique qui vient de naître. Un siècle qui s'agite dans tous les sens et pas seulement sur les champs de bataille. Guenièvre y est une jeune fille ballotée par les événements mais tenue par l'amour qu'elle reçoit et qu'elle porte aux autres.

Ces 6 ouvrages ont la qualité commune de s'adresser au jeune lecteur pour  lui donner à voir toute la dimension humaine de la guerre en dehors de la réalité que peuvent vivre les soldats dans les tranchées, sous les obus et les mitraillettes.  Ils lui rappellent que la guerre n'est pas que sur les champs de bataille  et qu'elle meurtrit les peuples, les gens à l'arrière,  toute une population dont la vie quotidienne et le destin sont bouleversés.

La grande guerre, histoires inspirées par des objets emblématiques de 1914-1918, collectif, illustrations de Jim Kay, Hachette livre, 2015
Le mystère de Lucy Lost, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, 2015
11 novembre, Paul Doswell, Naïve, 2014
La dernière course, Pascal Vatinel, Actes sud junior, 2014
Mon père est parti à la guerre, John Boyne, Gallimard jeunesse, 2014
La vie au bout des doigts, Orianne charpentier, Gallimard Scripto, 2014

Image : centenaire.org