Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

jeudi 23 juillet 2015

" Adam et Thomas "

Plus qu'un roman pour la jeunesse, c'est une véritable fable philosophique que Valérie Zenatti traduit de l'hébreu : traductrice d'Aharon Appelfeld pour ses textes destinés aux adultes, elle sert ici son récit adressé à la jeunesse " Adam et Thomas " ,  publié par L'école des loisirs en 2014 et magnifiquement illustré par Philippe Dumas. A la fin de la Seconde guerre mondiale, dans un pays de l'est non nommé, les mamans d'Adam et Thomas les confient à la forêt où ils doivent attendre qu'elles reviennent les chercher. Elles espèrent ainsi éviter qu'ils ne soient raflés avec les autres habitants du ghetto. La forêt les abrite, elle devient nourricière, protectrice, c'est l'image du paradis perdu originel. Ces deux petits Robinsons vont apprivoiser la forêt, qu'Adam connaît bien, et vont y attendre la fin de la guerre, puisque les Rouges arrivent et vont les délivrer. Leur sagesse enfantine, leur foi (en Dieu, en leurs parents, en l'autre) permettent qu'ils gardent une sorte d'angélisme salvateur, une confiance en la Nature et dans le Merveilleux, en particulier pour Adam qui considère toute aide comme venue du ciel ou d'un ange. Ainsi perçoit-il Mina, petite fille cachée dans une ferme, maltraitée, et qui les nourrit régulièrement en déposant au pied d'un arbre quelque nourriture. Les enfants représentent deux conceptions du judaïsme opposées, l'une traditionaliste, l'autre moderne et pragmatique mais l'auteur s'assure en permanence, à travers leurs épreuves, de dire au lecteur que les deux vues se tolèrent, voire se complètent. Sauvés par la forêt, les deux enfants deviennent salvateurs à leur tour et soignent des hommes blessés, réfugiés momentanément dans la forêt. Leur surprise à trouver des enfants autonomes sous les bois confirme l'image de communion de l'enfance avec la Nature, d'une innocence quasi biblique. La fable, elle, s'organise autour des notions d'apprentissage de la vie (Robinson et Walden réunis ? ), de la notion de devoir (les enfants risquent d'être pris lorsqu'ils soignent un fuyard blessé), des notions de providence et d'humanité. Il faut enfin constater que le titre original hébreu signifie " Une fille venue d'un autre monde " et semble désigner la petite Mina, l'ange qui nourrit les deux garçons dans la forêt, et qui, battue par le fermier qui la cache, est soignée par les soldats  de l'armée rouge pour lesquels aussi elle incarne littéralement un ange. Le texte la transfigure littéralement . C'est sur ce personnage que l'auteur s'appuie pour poser la question essentielle du texte : Dieu protège-t-il l'humanité ou celle-ci a-t-elle la capacité, comme les deux garçons, de trouver elle-même son  salut ? Ce roman, écrit dans un style particulièrement simple, a la beauté d'une histoire universelle et ancienne ; c'est peut-être pour cela que la revue " Lire " l'a désigné comme meilleur texte pour la jeunesse de l'année.

Adam et Thomas, Aharon Appelfeld, L'école des loisirs, 2014. 

Image : wikimedia commons