Ce blog se propose de parler du roman pour la jeunesse, passé et actuel, qu'il soit destiné aux jeunes lecteurs ou que ces derniers l'aient plébiscité. J'y déposerai mes notes de lecture sur les romans que j'ai lus et sur les ouvrages critiques qui étudient cette partie de la production éditoriale pour la jeunesse. Je ne suis qu'un amateur, mon opinion est donc parfaitement subjective. Étant plutôt positive dans la vie, je ne parlerai que des oeuvres qui m'ont plu, beaucoup intéressée ou dont je pense qu'elles occupent une place à part dans ce vaste corpus dont je ne ferai évidemment pas le tour. Au lieu de garder mes notes sur des cahiers de papier, je les confie à ce blog pour les partager, et pourquoi pas, provoquer des échanges ou discussions sur le roman pour la jeunesse, français et étranger. Enfin, ce blog porte le prénom de trois personnages qui me semblent emblématiques : Rémi, le petit orphelin de Sans Famille d'Hector Malot, né dans les années 1870 et symbole de la quête de l'identité et des origines, mais aussi de l'enfance volontaire ; Aline (et non Alice), héroïne de Colette Vivier dans son roman La maison des petits bonheurs (1939), où le quotidien apparemment banal de la famille et de l'enfance prennent une ampleur héroïque, et que les jeunes connaissent peu aujourd'hui ; enfin, l'incontournable Harry , dont je tais ici le nom puisque ses admirateurs s'en sentent suffisamment proches pour le désigner, comme un ami, par son seul prénom, et qui, non content de s'inscrire dans une certaine tradition britannique, a donné ou redonné la joie de lire à des millions d'adolescents et à leurs parents.
Puissent mes réflexions favoriser chez les jeunes et les moins jeunes l'envie de lire le roman pour la jeunesse.

Sans famille, Hector Malot, 1878

Première de couverture Flammarion 1918 ; source Wikimédia domaine public

samedi 25 novembre 2017

Pollyanna

Wikipédia
Pollyanna est née en 1913 sous la plume de l'Américaine  Eleanor H. Porter et ce n'est qu'en 2016 que les éditions Zethel-Leducs la font découvrir au public français. Pollyanna appartient à la grande famille des orphelins classiques mais elle a un petit quelque chose de plus, un peu suranné, qui a convaincu l'actrice Mary Pickford de tourner son histoire en 1920 et les studios Disney de réaliser leur propre version cinématographique en 1960. Malgré le succès relatif du film, Walt Disney considérait que c'était un des meilleurs scénarii sortis de sa
" fabrique" .

Pollyanna devient complètement orpheline après le décès de son père. Après avoir passé quelques temps avec des dames patronnesses qui l'ont prise en charge, elle est confiée à la sœur de sa mère défunte, tante Polly dont elle porte le prénom. On pourrait voir dans cette parentèle la marâtre  de service de toute bonne histoire d'orphelin, sauf que tante Polly est elle-même malheureuse malgré son argent et que l’héritage de Pollyanna, un optimisme hors norme, va peu à peu lui redonner le sourire. La petite orpheline va conquérir toute la maisonnée de sa tante et les personnes qui gravitent autour.   Son secret ? Le jeu du bonheur. Quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, il y a toujours une raison de se réjouir. Comme son lointain petit frère Harry Potter qui vit dans un placard, Pollyanna est logée au grenier ? Peu importe, la vue de la fenêtre est extraordinaire. Sa tante lui interdit de dîner ? Elle fait d'un bout de pain et d'un verre de lait un véritable festin.

Peu importe de raconter ici toute l'histoire de Pollyanna, il suffit de savoir qu'il est question de liberté, de la notion de famille (la tante de Pollyanna ne peut que l'aimer puisqu 'elles sont du même sang),  de philosophie de la vie, de pauvreté , de richesse et de partage. On pourrait parfois s’agacer de cette obstination à aimer les autres et à toujours être plus que positive. C'est que, outre retrouver  une famille et rétablir un certain équilibre dans sa vie, Pollyanna a décidé de trouver  et de semer le bonheur autour d'elle, hic et nunc, ici et maintenant. Elle déborde de cet enthousiasme incoercible dont ont fait preuve aussi en leurs temps d'autres américaines, Les quatre filles du Docteur March, de Louisa May Alcott, ou la fratrie de Laura Ingalls Wilder dans La petite maison dans la prairie  . Il faut être heureux coûte que coûte. Et il faut faire connaissance avec Pollyanna.

Pollyanna, Eleanor H. Porter, Zethel- Leducs, 2016

mercredi 20 septembre 2017

Lectures d'été 2017 (2)



Deuxième partie de nos lectures estivales de romans jeunesse. Avec " Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare " , de Silvana Gandolfi, nous entrons dans un texte onirique, basé sur la relation particulière, dans la ville de Venise, entre une grand-mère, sa petite-fille, et la vieillesse. Entre les deux héroïnes, une troisième, la fille de l'une qui est aussi la mère de l'autre. Et sous les coups de la maladie d'Alzheimer, la métamorphose de la grand-mère en tortue d'Aldabra, une île  lointaine, où la petite-fille va réussir à transporter sa grand-mère avec la complicité de sa mère, qui a renoué avec la sienne. Une histoire d'amour filial  qui tente d’éloigner la peur du vieillissement et  de la maladie, et la menace d'une implacable incommunicabilité.

Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare, Silvana gandolfi, (Les grandes personnes), 2014 

En ces temps de commémoration et de centenaire, voici deux romans publiés en 2016, sur la Première guerre mondiale. Tout d'abord celui de Michael Morpurgo, qui n'en est pas à son coup d'essai.  Dans " Un aigle dans la neige ", ce fabuleux narrateur passe la main à Barney, un gamin londonien qui fuit les bombardements de 1940 avec sa mère et va se réfugier à la campagne. Coincés dans un tunnel,  ils vont écouter le passager qui partage leur compartiment et qui va leur raconter une histoire incroyable inspirée de la vie d'un soldat exceptionnel de la Première guerre, Henry Tandey, dont Morpurgo nous parle d'abord dans une préface.

De son côté, Philippe Nessmann s'inspire aussi d'un personnage réel dans " La fée de Verdun ". Il y raconte, grâce à un jeune étudiant narrateur, l'histoire d'une cantatrice de la Belle Époque devenue infirmière sur le front, Nelly Martyl, dont on peut lire la vie sur Internet.

Deux romans qui vont chercher dans la petite histoire de quoi évoquer la grande, principal atout du roman historique et réussite remarquable dans le roman jeunesse : enseigner l'histoire sans en avoir l'air, grâce à un travail d'historien au service de la fiction, travail repris dans une habile mise en abîme par le personnage narrateur de Philippe Nessmann qui fait des recherches sur Nelly Martyl pour sa grand-mère laquelle,  enfant,  a vu la chanteuse s'effondrer devant elle dans le rue et qui veut savoir ce qu'elle est devenue. Deux lectures à savourer et qui font marcher à merveille le processus d'identification à un personnage réel et fictif à la fois.

Un aigle dans la neige, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, 2016
La fée de Verdun, Philippe Nessmann, Flammarion jeunesse, 2016

Lectures d'été 2017 (1)

Après une longue absence sur ces pages, voici quelques lignes sur nos lectures d'été qui débutent avec le roman historique de Sharon E. McKay "Esther". Un long texte dédié à la liberté où sont sous-jacents la condition féminine, la condition enfantine, la condition domestique, la judéité et l’aventure. Esther Brandeau, jeune juive du pays basque, a réellement existé. Et c'est sur les documents qui attestent de sa vie entre La France et la Nouvelle-France ( le Québec du 18e siècle) que l'auteure base sa fiction. Ce texte très riche (les sujets de société sont nombreux) se déroule à un rythme qui entraîne la lecture facilement. Le héros est une héroïne qui se travestit pour accéder à la liberté , qui démontre le même, sinon un plus grand courage que maints garçons, celui de ne pas renoncer à sa foi ni trahir les enseignements de ses parents. La figure de la mère, plurielle, tantôt aimante, tantôt cruelle et fourbe, colore le chemin d'Esther. Tout comme Esther dans la Bible qui a caché sa judéité à son époux perse, Esther Brandeau finit, quand on veut la convertir au catholicisme pour lui sauver la vie et lui permettre de rester en Nouvelle-France, par affirmer sa foi et reprendre son errance à la recherche de son ami ( amoureux ?) Philippe, parti s'installer en Louisiane. Elle a quitté saint-Esprit, dans la région de Bayonne, car son père veut la marier de force, et prend, dans sa fuite,  plusieurs identités pour conserver sa dignité, sa foi et sa liberté. Elle lutte conter toutes les manipulations avec instinct, courage et intelligence, reste elle-même, ayant toujours à l'esprit les paroles de sagesse de ses parents juifs. Fresque catastrophique de la France sous Louis XV où les pauvres souffrent de la faim et leurs enfants de maltraitance, le texte annonce la déferlante de liberté que demandera le peuple français quelques 50 ans plus tard, cette liberté qui s'installe déjà dans les colonies d'outre-atlantique où les femmes peuvent vivre seules et pratiquer le métier qu'elles souhaitent, mais à condition d'être catholiques et exclusivement catholiques. La fin du texte est ouvert. Esther repart et l'auteur laisse le soin à un personnage secondaire d' écrire dans une lettre adressée au lecteur qu'Esther s'est sans doute dirigée vers la Louisiane, à nouveau vêtue comme un garçon. Libre à nous de penser qu'elle a retrouvé Philippe.

Esther, Sharon McKay, L'Ecole des loisirs, 2016

C'est un texte fort et pourtant si simple qu'Anne-Marie Pol propose avec " Un tigre dans le jardin" chez Pocket jeunesse.  Une histoire d'enfance lointaine, dans l'Indochine des années 1930, une enfance exotique et fort triste. C'est Paule qui raconte : la douleur de la perte d'un grand frère et l'inconsolable chagrin de la mère, une petite sœur qui va disparaître aussi sous les assauts de la rougeole, et le décès de la mère lors d'un accouchement qui laisse une nouvelle petite fille orpheline avec Paule et leur frère Pierre. Comment tenir dans cet océan de douleur ? En imaginant la présence bienfaisante d'un tigre dans le jardin, un animal fort qui la protège de la tristesse et surveille le jardin pour Paule. Une présence qu'elle cache à tous, et qu'elle emmène avec elle lorsque son père décide de rentrer en France et de quitter l'Indochine où il ne peut vivre sans sa femme. Deux mondes qui s'achèvent, celui de l'enfance pour Paule, celui de l'expatriation pour son père, la fin d'un paradis pour les deux.

Un tigre dans le jardin, Anne-Marie Pol, Pocket jeunesse, 2017

Courir, c'est le maître mot de deux romans bien différents et dont les héros sont des garçons. Dans " Aussi loin que possible", d'Eric Pessan, Tony et Antoine, pour des raisons différentes mais dans la même souffrance, posent un matin leur sac de collège dans un buisson et partent en courant. Sur des centaines de kilomètres, ils vont parcourir une partie de la France allant de squats en larcins pour se nourrir. Une fuite éperdue de la violence du père pour l'un et d'une menace d'expulsion hors de France pour l'autre et sa famille. Ils imaginent une fin à leur cavale, et donc au roman, qui surprend le lecteur et le fait sourire sur les ressources de ces deux ados.

Élisabeth Laird, de son côté, fait courir Salomon en Éthiopie : courir pour aller à l'école chaque jour, courir pour aller chercher du secours, courir pour succéder à son grand-père, grand coureur lui-même, qui lui passe plusieurs relais et l'aide ainsi au moment de mourir, à entrer dans la course d'une vie d'homme parmi les plus glorieuses.

Aussi loin que possible, Eric Pessan, L'Ecole des loisirs, 2015 
Le garçon qui courait plus vite que ses rêves, Elisabeth Laird, Flammarion Tribal, 2016 




dimanche 16 octobre 2016

De l'intérêt de lire ou de relire " Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède "


C'est dans l'édition ci-contre de la collection Livre de poche éditée en 1963 que nous avons lu pour la première fois le texte du prix Nobel de littérature (1909) Selma Lagerlöf, enseignante suédoise qui a répondu à une commande de l'Association nationale des enseignants de son pays. " Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède " devait être un "livre de lecture" censé "révéler aux petits Suédois la beauté de leur pays" selon la préface de Lucien Maury dans l'édition de La Librairie Perrin de 1953. Les deux tomes de ce livre de géographie destiné aux enfants de l'école publique ont été publiés en 1906 et 1907 et sont devenus un classique de la littérature jeunesse en Suède et ailleurs, contrairement à son pendant français, œuvre de commande pédagogique également ," Le tour de France par deux enfants " écrit par une femme de Lettres, Augustine Fouillée, publiée  sous le pseudonyme G. Bruno en 1877. Les aventures de Nils ont en effet été déclinées en films et téléfilms, en dessins animés japonais, en albums et en toutes sortes d'objets tels que figurines ou mobiles pour chambre d'enfant. Un billet de 20 couronnes est à son effigie et un prix littéraire jeunesse porte son nom. Si  l'auteure a parcouru la Suède en tous sens pour apporter une caution scientifique à son texte et faire évoluer  la pédagogie, elle a aussi renouvelé dans son œuvre à destination des enfants le merveilleux hérité des contes traditionnels. Mais résumons d'abord l'intrigue : Nils Holgersson vit avec ses parents dans une petite ferme de Scanie, région méridionale de la Suède. C'est un mauvais garnement qui n'aide pas au travail et s'en  prend aux animaux, en particulier au jars Martin. Un dimanche où ses parents sont au temple et où Nils a demandé à rester à la maison, comptant bien utiliser le fusil du père pour s'amuser, un tomte, créature imaginaire minuscule du folklore suédois, se bat avec Nils et le transforme en tomte à son tour, pour le punir de  sa méchanceté. C'est l'époque de la migration des oies sauvages et Martin le jars voudrait bien les suivre dans leur voyage vers le nord où elles vont passer le printemps et l'été. Lorsqu'il s'envole pour les rejoindre, Nils cherche à l'en empêcher et se retrouve sur le dos de l'oiseau. Il entame ainsi une migration personnelle, géographique et psychologique. Devenu minuscule, il a la faculté de parler aux animaux, de les comprendre et de s'en faire comprendre. Il rappelle au lecteur français  les sœurs Delphine et Marinette des Contes du chat perché de Marcel Aymé, qui échangent avec les  animaux de leur ferme et même avec le loup,  bien sûr quand aucun adulte n'est là. Un Bill Waterson, auteur de comic strips américain, a repris le procédé à la fin du 20e siècle dans les aventures de Calvin, petit garçon turbulent qui  fait les 400 coups et philosophe aussi beaucoup avec Hobbes, son tigre en peluche qui devient vivant et bavard quand aucun adulte n'est dans les parages. Une autre façon d'être orphelin dans la littérature jeunesse et d'évoluer grâce à la relation avec les animaux. La notion de merveilleux est renouvelée de plusieurs façons dans l’œuvre de Selma Lagerlöf. Le merveilleux est d'abord dans la transformation magique du personnage principal et les échanges verbaux avec les animaux. Ce merveilleux-là est surnaturel et se superpose au naturel merveilleux des paysages suédois : la lumière, l'eau, la végétation,  sans regard humain mais sous celui d'un enfant-tomte, concourent à des images sublimes et sublimées d'un pays où la nature, au début du 20e siècle, domine la vie des hommes.  La transformation surnaturelle du garçon en tomte répond à la transformation naturelle de l'enfant en adulte, au moins en adolescent responsable, à la fin de son voyage initiatique. Le texte relève alors du conte traditionnel où un héros qui a subi un mauvais sort doit se racheter, surmonter différentes épreuves pour retrouver sa forme première. Les aventures de Nils relèvent aussi du roman et de l'épopée, récit long où le héros affronte maints périls et devient exemplaire. Le voyage de Nils sur le dos des oies n'est-il pas connu par toutes les contrées et racontées parmi les  animaux du pays ainsi que par des enfants ? La bonté et le respect pour toutes les formes de vie se développent dans le cœur de Nils et rattache le texte à la tradition pédagogique de la littérature pour la jeunesse depuis le 17e siècle. Son éducation morale et éthique se forge au long de son voyage et son bon cœur naturel qui reprend le dessus aurait fait plaisir à un Rousseau.  Nils apprend la loyauté, fait preuve de courage maintes fois, ne supporte pas l'injustice et est prêt au sacrifice : le tomte ne lui redonnera sa forme première que s'il ramène le jars Martin à la ferme où la fermière a l'intention de le tuer. Nils préfère rester minuscule toute sa vie plutôt que de renoncer à son meilleur ami, sauf si la vie lui indique une autre voie, comme le lui enseigne une légende racontée par le corbeau Bataki. Les légendes suédoises, toutes aussi édifiantes les unes que les autres, émaillent le récit du voyage des oies et de leur hôte. Elles contribuent à l'éducation du jeune écolier suédois , éducation qui ne doit pas se borner à la géographie ! Le voyage de Nils sur le dos de son jars est aussi le prétexte à une sensibilisation avant l'heure à l'écologie et à la protection de l'environnement.  Là, des enfants replantent une forêt incendiée depuis des  années et restée stérile. Ils font exemple au point que tout le village les rejoint et replante avec eux. De la magie de l'enfance créatrice ! Nils , en s'exclamant " Quel pays merveilleux que le nôtre " , enjoint les petits Suédois à comprendre la qualité de leur vie et le bonheur à vivre dans un pays magnifique, aux ressources et aux paysages divers. Il s'agit peut-être, à l'instar du "Tour de France par deux enfants", de développer le patriotisme à l'école, mais ce n'est pas, semble-t-il, la préoccupation première de Selma Lagerlöf, qui s'attache plutôt à  faire prendre conscience du bonheur à être suédois.
La condition enfantine sous-tend tout le texte : les petits orphelins de la littérature du 19e siècle ne sont pas loin. Cosette, Rémi et Matthias en France, Oliver Twist et David Copperfield en Angleterre, Tom Sawyer et Huckleberry Finn aux États-Unis, ont dénoncé l'enfance orpheline  et misérable. Selma Lagerlöf double le voyage de Nils, mauvais garçon qui n'est pas à plaindre, par celui des deux orphelins Asa et Mats qui ont perdu toute leur famille et dont le père, convaincu d'avoir attiré le mauvais œil sur les siens pour avoir secouru une bohémienne, est parti pour épargner ceux qui restent. Travailleurs courageux, les deux enfants survivent et découvrent un jour que leurs mère, frères et sœurs sont morts de la tuberculose transmise par la gitane, et non de sa sorcellerie. Ils entament alors un voyage décrit comme merveilleux par l'auteure, non en raison de leur découverte de la Suède, mais à cause de la solidarité qu'ils rencontrent  tout eu long de leur périple vers le nord où leur père semble être allé travailler dans les mines. Ce faisant, ils assument eux aussi un rôle pédagogique puisqu'ils apprennent à la population comment se garantir de la maladie par des gestes simples d'hygiène. Science contre obscurantisme est une formule qui participe de la leçon générale donnée par le récit de l'auteure suédoise, leçon qui se veut ethnologique aussi puisque nous apprenons ce qu'il faut savoir de la culture des Lapons auprès desquels Asa retrouve seule son père, Mats étant mort lors d'une explosion de dynamite dans les mines du Malmberg. Enfin, dans une subtile mise en abîme, l'auteure se met en scène et rencontre le petit tomte courageux qui veut retrouver les oies et repartir avec elles au sud. Il lui raconte son histoire extraordinaire et elle trouve là le prétexte littéraire du livre sur  la Suède qu'elle veut écrire  depuis des semaines sans savoir quelle forme lui donner. En rencontrant Nils, Selma légitime l'aspect littéraire du livre pédagogique et documentaire qu'on lui a commandé.  Celui-ci (re)devient  grand, dans tous les sens du terme, retrouve ses parents qui lui pardonnent volontiers car ils ont entendu parler de lui de manière édifiante. Et l'on ne sait si Nils est redevenu lui-même par magie ou par sagesse ...

Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf, 1906 (1er tome), 1907, (2ème tome), Suède, nombreuses éditions françaises.

Image : abebooks




samedi 20 février 2016

Première Guerre mondiale

Centenaire oblige, les auteurs de roman jeunesse ont beaucoup écrit sur La Grande Guerre . En 2014 et 2015 sont parus en France, entre autres, 6 titres dont un recueil de nouvelles que nous associerons à 5 romans dans ce post. Et nous commencerons par présenter ce recueil de récits basés sur un objet de la Première guerre mondiale. Dans La grande guerre, 11 auteurs, dont Michael Morpurgo, John Boyne, Timothée de Fombelle ou David Almond, auteurs  majeurs de la littérature jeunesse, ont chacun écrit une histoire autour d'un objet emblématique du conflit. Sur le front ou à l'arrière, au début du 20e siècle ou aujourd'hui,l’objet en question (casque Brodie, affiche de recrutement irlandaise, partition de musique, ou assiette à beurre ...) dénonce les millions de vie disparues ou bouleversées par la guerre, et les raconte. Le désaccord entre deux frères, l'un militariste, l'autre pacifiste, qui s'affrontent aujourd'hui, au moment du Centenaire, un bout de bombe enfoncée depuis des lustres dans le tronc d'un arbre, jetée d'un Zeppelin sur Londres et qui ravive des souffrances à la veille de la Seconde guerre,  l'entrée en guerre de l'Irlande aux côté de sa vieille ennemie l'Angleterre, la partition d'un musicien de jazz américain parti sur le front en Europe en 1917, le sacrifice d'une jeune fille irlandaise qui s'occupe de son frère traumatisé et renonce à ses études pour prendre la place dans la maisonnée de sa mère disparue, un jeune garçon qui donne le petit soldat  symbole de son  père disparu et quitte ainsi son enfance ... autant de destins chamboulés par le conflit, par l'absurdité du monde.

De son côté, après avoir déjà écrit de magnifiques textes sur 14-18, Michael Morpurgo récidive en 2015, avec Le mystère de Lucy Lost, une jeune américaine naufragée du Lusitania en avril 1915, et  recueillie par une famille sur une île anglaise dans l'archipel des Scilly cher à l'auteur. Amnésique, elle devient un mystère pour tous les habitants de l’île qui la prennent pour une Allemande car elle on l'a trouvée avec une couverture portant le nom du Kaiser et parce qu'elle ne parle pas ... Dans ce texte, Morpurgo renoue avec certains thèmes : le lien enfant-animal qui offre une sorte de thérapie à Lucy par le biais d'un magnifique cheval, le lien particulier et secret entre des enfants, le thème de l'éducation et de la tolérance, les deuils et les traumatismes psychologiques.

Paul Doswell, de son côté, écrit au cœur du conflit l'histoire de trois jeunes garçons  un Allemand, un Américain d'origine allemande et un Anglais, dans un ouvrage intitulé 11novembre. C'est à la fin du conflit que les trois garçons de moins de 20 ans s'engagent, se croisent  se battent, meurent ou survivent le tout dernier jour de la guerre. Un narrateur extérieur nous donne à voir les peurs, les espoirs, les doutes et les affres communs de la jeunesse sacrifiée dans ce conflit extrêmement meurtrier.

C'est une tout autre ambiance que Pascal Vatinel propose avec La dernière course, l'histoire, inspirée de faits réels, d'un groupe de 400 chiens de traineau transportés d'Alaska pour aider les troupes alliées sur le front des Vosges.  Le héros est une héroïne, une jeune québécoise, musher aguerrie, orpheline, qui affronte de nombreux dangers pour l'amour de ses chiens, de ses amis, pour assumer sa mission sous un déguisement de soldat et pour être digne de l'homme qui l' a élevée en Alaska. Le roman de Pascal Vatinel a le souffle des textes de Jack London auquel on ne peut s'empêcher de penser, le sens des grands espaces, l'amour de la nature et la capacité à la glorifier.

John Boyne, quant à lui, propose un texte très sensible qui raconte, dans Mon père est parti à la guerre, les quatre années d'attente  fiévreuse d'Alfie, petit garçon anglais dont le papa s'est engagé le lendemain de son 5e anniversaire, le laissant seul avec sa mère et sa grand-mère, ainsi qu'avec  son meilleur ami objecteur de conscience. La guerre vue de loin par un enfant  qui soutient sa mère en travaillant en cachette, la situation des objecteurs de conscience emprisonnés, le travail des femmes, le début de l'évolution de la condition féminine et la difficile reconnaissance des traumatismes psychologiques graves des hommes à leur retour sont les thèmes principaux de l'auteur dans ce très beau roman.

Enfin, La vie au bout des doigts d'Orianne Charpentier clôt cette suite de textes tout aussi prenants les uns que les autres car ils proposent une vision de la guerre différente de la plupart des autres, et racontent les conséquences de la guerre sur les civils, les familles, les amis, la solidarité, l’incompréhension devant l'absurdité de ce conflit.  Le texte d'Orianne Charpentier se lit d’une traite malgré ses 405 pages. Elle brosse tout à la fois l'histoire d'une jeune fille singulière à plusieurs titres et le paysage du siècle naissant dont elle rappelle le fourmillement de découvertes scientifiques et artistiques, la rationalité triomphante et la vie plus ou moins secrète de gens doués du don de guérisseur ou de vision qu'elle fait s'opposer dans certains passages à la médecine qui se veut moderne et à la recherche psychanalytique qui vient de naître. Un siècle qui s'agite dans tous les sens et pas seulement sur les champs de bataille. Guenièvre y est une jeune fille ballotée par les événements mais tenue par l'amour qu'elle reçoit et qu'elle porte aux autres.

Ces 6 ouvrages ont la qualité commune de s'adresser au jeune lecteur pour  lui donner à voir toute la dimension humaine de la guerre en dehors de la réalité que peuvent vivre les soldats dans les tranchées, sous les obus et les mitraillettes.  Ils lui rappellent que la guerre n'est pas que sur les champs de bataille  et qu'elle meurtrit les peuples, les gens à l'arrière,  toute une population dont la vie quotidienne et le destin sont bouleversés.

La grande guerre, histoires inspirées par des objets emblématiques de 1914-1918, collectif, illustrations de Jim Kay, Hachette livre, 2015
Le mystère de Lucy Lost, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, 2015
11 novembre, Paul Doswell, Naïve, 2014
La dernière course, Pascal Vatinel, Actes sud junior, 2014
Mon père est parti à la guerre, John Boyne, Gallimard jeunesse, 2014
La vie au bout des doigts, Orianne charpentier, Gallimard Scripto, 2014

Image : centenaire.org

mercredi 5 août 2015

" Broadway limited .Un dîner avec Cary Grant "

Le nouveau roman de Malika Ferdjoukh est tellement enthousiasmant qu'on ne sait par où commencer pour en parler bien et surtout convaincre de se jeter dessus, toutes affaires cessantes ... 582 pages de pur bonheur, à Manhattan, après la Seconde guerre mondiale. Jocelyn Brouillard, jeune parisien de 17 ans , arrive à New York où une école de musique réputée lui ouvre ses portes à l'aide d'une bourse. Nous sommes en 1948 et un ami lui a conseillé de se rendre dans une petite pension nommée " Giboulée " . mais "damned !", cette maison ne reçoit que des filles !! Jocelyn va amadouer par ses talents de pianiste le " dragon ", Artemisia, vieille dame indigne et propriétaire de la pension avec sa soeur Céleste Merle. Il séduit aussi toutes les pensionnaires du lieu, et nous allons découvrir avec lui la vie tourbillonnante de ces demoiselles dont chacune a un lourd secret ... 
Si l'on retrouve le rythme et l'humour de l'écriture de Malika Ferdjoukh, on savoure aussi tout le travail de documentation qu'elle a pu faire pour écrire ce premier tome  de Broadway limited. Grâce à elle, on voyage dans le temps vers un New York plein de vie et en particulier plein de vie artistique : théâtre, cinéma et musique remplissent l'histoire de cette flopée de protagonistes. Jocelyn est vite embauché comme pianiste de revue, en marge de ses études de musicologie, et les filles de la pension sont toutes qui danseuse, qui chanteuse, qui comédienne. De petits boulots les aident à survivre en attendant la gloire, qui sait ? ... Sont évoqués les acteurs, réalisateurs et musiciens de l'époque, on assiste au développement du cinéma, des revues et à l'essor de la musique jazz en croisant Grace Kelly, James Stewart, Clark Gable et le futur Woody Allen encore adolescent, entre autres. L'histoire n'est pas en reste puisque Jocelyn (dit "Jo", à l'américaine) tombe amoureux d’une jeune activiste qui soutient les artistes de tous genres accusés de collusion avec le communisme ... La condition féminine de cet après-guerre à New York est aussi l'un des thèmes du roman. Jo, de son côté, apporte une touche européenne et les souvenirs de la France occupée. Il découvre l'Amérique, sa musique, ses fêtes bizarres ( Halloween et Thanksgiving), sa gastronomie (il pense que la pizza et le coca-cola feront un tabac en France !!), ses traditions sociales et les rites qui marquent les relations garçons-filles. Ajoutez, à la vie de la pension, les chagrins des unes et des autres, deux chats philosophes, un chien patibulaire, deux domestiques très maternelles, des voisins attachants et vous retrouverez tout le charme des histoires de Malika Ferdjoukh qui a le don, aussi, de tisser patiemment des liens entre des personnages apparemment éloignés, l'air de dire que l'Amérique, c'est petit ! On retrouvera, à la lecture de ce premier tome (vivement le deuxième !!) tout le plaisir de lecture ressenti avec les différents volumes de la vie des "Quatre sœurs" Verdelaine, édités eux aussi à L'école des loisirs. Je parie, à l'instar des demoiselles de la pension Giboulée, " Un dîner avec Cary Grant " que cette lecture ne vous laissera pas indifférents ...


Broadway Limited. Un dîner avec Cary Grant ; Malika Ferdjoukh, L'école des loisirs, 2015.

Image : Manhattan sur Wikimedia Commons

dimanche 2 août 2015

" Angel, l'indien blanc "

Tous les ingrédients du bon roman d'aventures sont utilisés par François Place dans son récit " Angel, l'indien blanc " paru chez Casterman en 2014.  Et il se trouve que ce sont des ingrédients auxquels il est fidèle dans ses autres titres : le voyage, l'exploration, la nature, la rencontre de peuples différents ... Angel le bien nommé est né d'une Française enlevée par des indiens d'Amérique du sud qui l'ont arrachée à la propriété argentine du maître espagnol qui lui a confié l'éducation de ses enfants. Élevé comme un indien, le métis est recruté comme matelot sur un bateau qui part en expédition vers le sud découvrir les Terres australes. Après l'échouage du Neptune et avec le savant vénitien Corvadoro qui, malgré les apparences, le prend sous son aile, Angel va passer plusieurs mois parmi les Woanoas, peuple de la banquise antarctique. Il va peu à peu être assimilé à leur société, et surtout initié à leur monde  imaginaire par le biais des forces de l'esprit en connexion constante avec la nature. De son duel avec le roi noir, grand phoque qui défend les siens lors des grandes chasses dont dépend la vie des Woanoas, à sa relation symbiotique avec Leuk, la réincarnation en goéland d'un de ses compagnons Woanoas, Angel, dont le prénom évoque les cieux et l'esprit de la Nature, termine son aventure à Venise où Corvadoro l'emmène. C'est là qu'il prend conscience de la lutte entre la recherche scientifique et la superstition, les tentatives d'explication et de connaissance du monde par les savants et l'attrait de la société dite civilisée pour les récits fabuleux. Le savant Sigogné de Chauvry, participant du voyage mais n'ayant de connaissance des Woanoas que ce qu'en ont raconté Angel et Corvadoro, s'empresse, de retour, de raconter à Versailles qu'il a retrouvé l'Atlantide mythique et que la cité entière est prisonnière des glaces. Cette " escroquerie géographique " (p. 216) permet à l'auteur d'éloigner la menace " civilisée " d'expéditions destructrices, de militer pour la protection des milieux et des peuples, et surtout de laisser la plus grande place aux forces de l'imaginaire et de l'esprit qui unissent Homme et Nature dans son roman. Ce texte n'est pas sans rappeler le très beau récit qu'il commit quelques  années plus tôt et qui emmenait un scientifique à la recherche des " Derniers géants ". C''est ici aussi la protection d'un  "paradis perdu  " qu'il faut assurer. 

"Angel, l'indien blanc ", François Place, Casterman, 2014 

Image : wikimedia commons